Il est clair que les décideurs n’ont pas pris en considération le risque certain d’une aggravation de la récession économique à cause de l’augmentation des impôts et des taxes et de son effet rétroactif. La série de mesures fiscales, prévues dans la Loi de finance 2022, a été imposée dans l’objectif ultime de combler le déficit budgétaire et d’accroître les revenus de l’État.

La mesure fiscale la moins juste est celle de l’augmentation de l’impôt sur les salaires et les traitements, qui affecte tant l’employé que l’employeur. Surtout dans un contexte de crise sévère, comme celle qui accable le Liban où une grande partie de la population fait face à des difficultés financières sans précédent.

Au lieu d’accorder la priorité aux réformes indispensables pour que le pays puisse accéder à des aides urgentes qui le mettront sur la voie d’un redressement, les autorités ont opté, comme toujours, pour la voie la plus facile et la plus rapide afin de remplir les caisses de l’État: relever les taxes et les impôts. La vision économique et les réformes, elles, peuvent toujours attendre…

Aujourd’hui, un sentiment de confusion mêlé à l’inquiétude prévaut sur le marché du travail à cause de cet état des choses. Le patronat et les salariés auront un intérêt commun à ne pas déclarer les montants réels des salaires, d’autant qu’à cause de la dévaluation de la livre et des restrictions bancaires sur les retraits, ceux-ci sont parfois versés suivant des procédures acrobatiques.

Une telle situation conduira naturellement à moyen terme à une évasion fiscale de grande ampleur, nocive pour un fonctionnement sain des rouages de l’économie. Les deux partenaires au travail se dirigeront de plus en plus vers des transactions en cash, difficilement traçables, pour éviter pour l’un et l’autre une augmentation de l’impôt sur le revenu, sans aucune contrepartie d’aide sociale correspondante ou d’incitations économiques.

A partir du jeudi 1er décembre, la décision du ministère des Finances 687/1 du 23 novembre 2022, portant sur l’impôt sur les traitements et les salaires, entrera en vigueur. Ainsi, le salarié qui perçoit son salaire en dollars frais, ou qui reçoit des transferts de l’étranger en devises fortes, ou fait une déclaration d’impôts sur la base de revenus forfaitaires en dollars, doit désormais payer un impôt sur le revenu sur base du taux de change effectif de Sayrafa, la plateforme de la Banque du Liban.

En d’autres termes, si le salaire est de mille dollars frais, le salarié devra payer un impôt sur le revenu sur la base de 30 millions et 300.000 livres (le taux de Sayrafa est pour l’instant de 30.300LL pour un dollar), mais s’il reçoit un chèque bancaire de mille dollars, son salaire est considéré comme étant de huit millions, et c’est sur cette base que l’impôt sur le revenu est calculé. Sachant que le taux de retrait du " lollar " est de 8.000 LL pour un dollar, conformément à la circulaire 151 de la Banque du Liban.

Le taux d’imposition des salaires sera de 2% pour la tranche des traitements compris entre 1 et 6 millions de livres, de 4% pour la tranche des salaires compris entre 6 et 15 millions, de 7% pour les salaires compris entre 15 et 30 millions, de 11% pour les salaires compris entre 30 millions et 60 millions, jusqu’à atteindre un plafond de 25% pour les revenus qui dépassent 225 millions de livres.

L’entrée en vigueur de la nouvelle taxe sur les salaires et les traitements est concomitante du début de l’application du nouveau taux du dollar douanier (un dollar = 15.000 livres) qui entraînera dans son sillage une augmentation correspondante de la taxe sur la valeur ajoutée. Ce nouvel impôt sur les salaires intervient aussi avant que le taux de retrait du lollar – qui est actuellement de 8.000 LL – ne passe à 15.000 LL. Ce taux ajusté ne deviendra effectif qu’au 1er février 2023. Ce qui revient à dire que les charges fiscales du salarié doubleront pendant une période de deux mois, alors que le taux du dollar dans les banques restera inchangé.

La répartition de l’impôt sur la base de tranches de salaire reflète une certaine justice entre les employés eux-mêmes. Cependant, le déséquilibre fiscal structurel est celui de tenir les salariés pour responsables de la sécurisation de revenus pour le Trésor, en relevant les taux des impôts indirects. Toujours sans aucune vision économique.

Le budget ne comprend que 20% d’impôts directs et 80% d’impôts indirects payés par le citoyen, tels que la taxe à la consommation et la taxe sur la valeur ajoutée, et c’est là que réside l’absence de justice, car quiconque perçoit un salaire d’un million et demi de livres paie le même impôt indirect que quelqu’un qui gagne cent millions de livres.