Des idées financières insensées sont répétées tous les jours, de sorte qu’elles deviennent presque des vérités établies. Cependant, ce qui est absurde le restera…

Parmi les nombreuses hérésies relatives à des idées financières qui circulent dans les cercles du pouvoir depuis deux ans et jusqu’à maintenant, ainsi qu’au sein de quelques associations, nous avons choisi certaines des hérésies les plus fréquentes. Cela est d‘ailleurs d’actualité car, avec le budget 2022 à l’étude et les négociations avec le FMI en marche, on va devoir trancher tôt ou tard. Ci-dessous un petit échantillon d’idées insensées :

  1. ‘’Il faut ramener de force les milliards de dollars de dépôts qui ont ‘fui’ vers l’étranger’’ : D’abord, il n’y a pas eu une fuite de fonds mais un transfert. Tout à fait légalement. Les ramener de force (sous peine de sanctions rétroactives) revient à punir quelqu’un pour une faute non commise et le pousser à choisir pour l’avenir un pays plus crédible. En plus, pratiquement, comment ramener un fonds transféré à l’étranger par un déposant, et qui a déjà servi à acquérir un appartement dont il a besoin ? Ou un investisseur pour construire une usine ? Ou un restaurateur pour démarrer une franchise ? Certes, il est vrai que certaines banques ont été sélectives en facilitant des transferts pour quelques clients et ont refusé ce service à d’autres. Cependant, encore une fois, cette différence de traitement n’est pas illégale. Elle peut être perçue comme ‘immorale’, et les déposants ainsi lésés ont raison de s’indigner. Quant aux politiques qui crient au scandale, ils sont certainement les derniers à avoir le droit de parler de moralité.
  1. ‘’Pour répartir les pertes, il est normal de faire payer en priorité ceux qui ont profité le plus, c’est-à-dire les banquiers et les gros déposants’’: or ponctionner (haircut) des dépôts est aussi une mesure arbitraire qui tue la confiance. Pourquoi ces déposants-là et pas ceux qui étaient là il y a 1 an ou 3 ou 5 ? Faut-il les punir parce qu’ils ont eu confiance jusqu’au bout ? Ensuite, les intérêts dits ‘excessifs’ ne le sont pas en réalité, car le rendement espéré d’un capital dépend du risque encouru. Or notre risque pays, grâce aux politiques, était tellement mauvais qu’il justifiait des intérêts encore plus élevés, selon les comparatifs internationaux. Concernant les banques, contrairement aux idées reçues, leurs profits n’étaient pas excessifs non plus, ils étaient en moyenne de l’ordre de 10-11% (des fonds propres), dont une bonne partie est déduite sous forme de taxes, d’augmentation de capital ou de réserves obligatoires. Enfin, tout ce beau monde, qu’on cherche à sanctionner rétroactivement, n’a pas commis un délit ou un crime. Or c’est cela qui compte dans un État de droit. Une mesure alternative serait d’instaurer un impôt provisoire sur la fortune, si on arrive à cerner les grandes fortunes…
  1. ‘’On va travailler pour récupérer l’argent volé’’: au moins là, on sanctionne un délit, ce qui est normal. Cependant, on en parle sans grande conviction. La preuve, une dizaine de lois anti-corruption ont déjà été adoptées, sans aucune application. On laisse impunis tous ceux qui se sont enrichis illégalement, dans les cercles politiques et administratifs. On pourrait rétorquer que c’est toujours difficile de prouver les actes de corruption. C’est vrai, mais les procès pour évasion fiscale peuvent donner des résultats rapides ; Al-Capone a été condamné pour cette raison-là. Il suffit d’appliquer ce qu’en France on appelle le principe des ‘signes extérieurs de richesses’.
  1. ‘’Ce serait immoral d’utiliser les actifs de l’État, qui appartiennent à toute la population, pour rembourser une poignée de créditeurs’’. D’abord, l’argent que l’État a emprunté a servi (en principe) à toute la population, sous forme de services, d’infrastructure, d’écoles, d’hôpitaux… et ce n’est donc pas immoral que les actifs de l’État, représentant cette même population bénéficiaire, soit mis à contribution. Ensuite, les propositions sérieuses ne parlent pas de brader ces actifs, mais de les faire fructifier selon différentes formules pour rembourser une partie des dettes.

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