Une constante de la scène économique libanaise se présente sous forme de crises récurrentes; une crise qui chasse l’autre, ou s’y ajoute. Et cela ne date pas d’hier, ni depuis l’automne 2019. Les problèmes de l’électricité, de l’eau, de la santé… sont bien antérieurs. Il est vrai que leur fréquence s’est accélérée depuis, touchant tous les domaines, jusqu’aux crises actuelles d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine. Comment expliquer ce phénomène?

La plupart citent volontiers la corruption endémique qui ravage tout sur son passage, ce qui est vrai. Mais ce fléau n’explique pas tout. L’élément le plus dévastateur semble être l’incompétence. Un suivi méticuleux du "travail" des autorités le montre clairement. Par autorités, on désigne tous les échelons du pouvoir: Président, ministres, députés, hauts et moyens fonctionnaires.

Face aux problèmes, ces représentants de l’autorité publique sont démunis, ils ne savent pas quoi faire, alors ils tâtonnent, trébuchent, proposent des inepties, prennent la mauvaise décision, ou aucune, se perdent dans leurs dédales, se lancent dans des initiatives alambiquées qui débouchent sur des impasses, ramenant la crise à son point de départ, ou parfois à une crise ante.

Ce n’est pas un cas isolé dans le monde; d’où la richesse du lexique offert par la langue française pour désigner ce phénomène. On peut ainsi trouver des vocables tels que médiocratie, crétinocratie, cacocratie, inaptocratie, kakistocratie, imbécilocratie.

Des exemples parmi d’autres? Un président de la République qui préside une réunion à caractère financier, où des décisions cruciales sont prises à son initiative, alors qu’il n’a ni le bagage ni l’expérience nécessaires. Ou encore l’ancien ministre de l’Économie qui a lancé et dirigé pendant des mois tambour battant une subvention massive des produits essentiels, alors que le résultat s’est révélé catastrophique: pénuries, contrebande, dilapidation des réserves de la Banque centrale. Dans certains cas, le ministre peut être compétent, mais cela ne suffit pas pour activer son département dans le bon sens, car un ministère est une chaîne de commandement constituée de centaines d’éléments, et il suffit qu’une partie soit incompétente pour fausser le résultat.

Pourtant, une solution existe devant ce labyrinthe sans issue. C’est se décharger de l’ensemble des missions que les autorités se sont appropriées, en faveur du secteur privé, qui, il l’a prouvé maintes fois, est infiniment plus compétent. Certains pourraient craindre des agissements immoraux de la part de ce secteur: exploitation malsaine, position dominante, ententes tacites, voire monopoles. Autant de combines qui peuvent être évitées par une réglementation appropriée, calquée sur les normes internationales en la matière. Pas la peine d’en concevoir une localement, on ne saura pas le faire.

Certains théoriciens pourraient rétorquer qu’on est en train de promouvoir en fait le libéralisme économique extrême où l’État est juste un régulateur, laissant au secteur privé le soin de s’occuper de tout. En fait, on n’en est plus à ce stade. Dans notre cas, choisir entre le secteur public et privé est un faux débat. C’est une solution née de la nécessité, dans le sens où l’on doit charger le secteur privé de faire fonctionner la vie économique, non pas par choix, mais parce que le secteur public ne sait pas le faire, et ne le saura jamais. Il s’agit d’un exemple type de cas désespéré.

Peut-être qu’on pourra alors s’épargner le ridicule d’une situation où le ministre de l’Énergie célèbre dans une station-service le remplissage du réservoir d’une voiture, et où le ministre de l’Économie verbalise un supermarché parce qu’il vend la boîte de thon plus cher que son voisin…

On ne pourra peut-être pas éliminer toutes les crises, ni tous les ridicules, mais on en réduira au moins l’acuité.