Alors que chaque groupe parlementaire campe sur ses positions, un première voix en faveur du député Sleiman Frangié a été enregistrée jeudi, illustrant l’attachement du 8 Mars à sa candidature.
"Un match de basket où les joueurs driblent et personne ne tire au panier, en attendant de meilleures conditions climatiques et de nouveaux arbitres": cette comparaison établie par le député Marwan Hamadé résume le statu quo actuel au niveau de l’élection présidentielle. La sixième séance parlementaire consacrée jeudi à l’élection d’un chef de l’État a d’ailleurs renforcé l’impression que le blocage est appelé à durer.
Les groupes parlementaires et députés du 8 Mars ont de nouveau provoqué un défaut de quorum à l’issue du premier tour de vote, dont les résultats étaient plus ou moins similaires à ceux de la précédente séance, jeudi dernier.
Sur les 112 députés présents, 43 ont voté pour le candidat des blocs souverainistes, le député Michel Moawad (contre 44 il y a une semaine), et 46 bulletins blancs ont été déposés dans l’urne par les députés du 8 Mars (contre 47 jeudi dernier). Ce qui montre que le bras de fer entre ces deux groupes se poursuit, sans qu’aucun des deux ne puisse pour l’instant l’emporter.
Daou et Saliba
Pour ce qui est des autres résultats, le professeur Issam Khalifé, appuyé par six députés du Changement et par le député Oussama Saad a obtenu sept voix (contre 6 lors de la dernière séance). Neuf bulletins portant la mention "Liban nouveau" (contre 7 il y a une semaine) ont été déposés par les députés de la Modération nationale (Akkar), ainsi que par les deux députés du parti Taqaddom, Najat Saliba et Mark Daou.
Il est très possible que M. Daou et Mme Saliba, qui font partie du bloc du Changement, votent en faveur de Michel Moawad la semaine prochaine, emboîtant ainsi le pas à leur collègue Rami Finge, et au député Waddah Sadek (sorti le 24 octobre du groupe). Les deux députés de Taqaddom se seraient ainsi déplacés progressivement au niveau du vote, se démarquant pendant trois séances de leurs collègues de la contestation en votant "Liban niveau", pour trancher en fin de compte et voter pour M. Moawad. Cette évolution par étapes viserait probablement à ne pas choquer leurs électeurs de la thaoura et à les préparer à cette démarche.
La Modération nationale
En tous les cas, si M. Moawad progresse au niveau des députés du Changement, les députés de la Modération nationale et les anciens haririens (en majorité sunnites) ne semblent pas prêts à appuyer sa candidature, même si certains d’entre eux l’avaient fait lors de précédentes séances.
Dans une déclaration, M. Moawad a lui-même fait état " d’interventions qui ont eu lieu mercredi auprès de certains députés indépendants ". Dans ce cadre, les députés de la Modération s’étaient fait remarquer par leur absence lors de la réunion de concertation qui a regroupé mardi des députés Kataëb et des indépendants dans la bibliothèque du Parlement pour discuter de l’impasse présidentielle.
Certains observateurs soulignent que le Premier ministre sortant Najib Mikati, qui a déjà annoncé son appui à Sleiman Frangié, a reçu mercredi le député Ahmed Kheir (Modération nationale).
M. Moawad garde toutefois l’appui de plusieurs députés sunnites, en plus de ses collègues dans le bloc du Renouveau, Achraf Rifi et Fouad Makhzoumi. Il s’agit de députés issus de la contestation, de membres de blocs comme celui du Parti socialiste progressiste, ou d’indépendants, à l’instar de Bilal Hchaimi (Zahlé).
Premier vote pour Frangié
Outre les deux bulletins annulés (portant les termes "une nouvelle Constitution pour un nouveau Liban", et "C’est inutile "), les cinq derniers votes se sont ainsi répartis: trois pour l’ancien ministre Ziyad Baroud (dont l’un a été déposé par le vice-président du Parlement Élias Bou Saab, comme il l’avait fait la semaine dernière), un vote en faveur du député Michel Daher (grec-catholique, et ne pouvant donc pas être élu président, ce poste étant réservé à un maronite), et un vote en faveur du député Sleiman Frangié.
C’est surtout ce dernier vote qui mérite l’attention. Même si les cercles du Hezbollah et du mouvement Amal ne cachent pas qu’il est leur candidat préféré, c’est la première fois qu’il obtient une voix lors d’une séance électorale. Cela est significatif dans la mesure où il peut constituer un message signifiant que le tandem chiite est attaché à sa candidature.
Ce vote donne-t-il à penser qu’ils ne sont plus embarrassés vis-à-vis de leur autre allié, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil? Certains observateurs font cette lecture, soulignant que ce dernier, en visite à Paris, a manifesté son mécontentement et a haussé le ton dans ses déclarations (Voir par ailleurs)
Débat constitutionnel
La séance a été marquée, comme la précédente, par un débat constitutionnel qui a conduit certains députés du bloc Amal à remuer le passé et qui a provoqué des tensions.
Le député Samy Gemayel (Kataëb) a demandé au président du Parlement Nabih Berry, de préciser sur quel article de la Constitution il se base pour considérer que le quorum des deux tiers (86 députés) est requis à chaque tour d’élection. Il a rappelé que l’article 49 définit le nombre de députés requis pour la tenue d’une séance électorale et non pour le vote, soulignant qu’au second tour, la majorité absolue (65 députés) est suffisante.
Il a invité M. Berry à répondre "d’une façon calme, scientifique et constitutionnelle", et non d’une façon "qui n’est pas digne de vous". On rappelle que lors de la dernière séance, le président de la Chambre avait mis fin à ce débat par une boutade.
Alors que le chef du Législatif répondait calmement, deux députés de son bloc, Ali Khreiss et Kabalan Kabalan, n’ont pas apprécié la dernière remarque de M. Gemayel et se sont emportés, rappelant qu’en 1982, "les députés ont été emmenés voter dans des tanks" (pour l’élection du président Bachir Gemayel, qui avait été assassiné trois semaines plus tard).
Nabih Berry a ainsi rappelé que feu le patriarche maronite Nasrallah Sfeir avait lui-même insisté sur le quorum des deux tiers à tous les tours, ajoutant que l’ancien président Amine Gemayel (père du député Samy) n’accepterait pas que le quorum ne soit pas respecté.
PSP et FL calment le jeu
Les députés Samy et Nadim Gemayel ont repris la parole pour corriger ce qui a été dit. Alors que la tension montait, des députés du Parti socialiste progressiste et des Forces libanaises sont intervenus pour calmer le débat.
Hadi Abou el-Hosn (PSP) a souligné que toute interprétation à l’heure actuelle de l’article 49 en vue de son amendement contribuerait à prolonger le blocage. Il a fait savoir que son bloc appuyait le quorum des deux tiers, notant cependant que les députés devaient rester présents et voter.
Le même raisonnement a été fait par le député Georges Adwan (FL), qui a appelé les députés à faire preuve de responsabilité et à voter pour un candidat.
Le député Élias Jradé (Changement) a quant à lui demandé au président du Parlement de lancer immédiatement un dialogue qui permettrait d’élire un chef de l’État, soulignant qu’il ne fallait pas attendre les pressions extérieures.
Ces interventions ont conduit M. Berry à appeler de nouveau à une entente, et à lancer le vote.
Avant que ne se termine le dépouillement, la plupart des députés du 8 Mars étaient sortis de l’hémicycle. Après l’annonce des résultats, le président Berry a demandé que l’on compte le nombre de députés. Ayant constaté qu’il n’y avait plus que 67 parlementaires dans l’hémicycle, il a levé séance. La prochaine se tiendra jeudi 24 novembre.
La même ardeur?
Alors que le 8 Mars a peut-être annoncé la couleur en glissant un premier vote en faveur de Sleiman Frangié, des observateurs notent que le nombre des bulletins blancs et des votes pour un "Liban nouveau" s’approche lentement de la soixantaine.
Si les auteurs des bulletins annulés, et d’autres députés qui votent pour l’instant pour différents candidats, venaient à se laisser convaincre par ce choix, que se passerait-il? "Les forces souverainistes mettraient-elles la même ardeur à bloquer une telle élection si les députés du 8 Mars restaient dans l’hémicycle?", se demandent des observateurs.
Pour l’instant, celles-ci semblent déterminées à imposer leur candidat, et à empêcher l’élection d’un proche du 8 Mars. Rappelant que ce dernier camp réussit souvent à atteindre ses objectifs "à l’usure", des observateurs espèrent que les blocs souverainistes tiendront bon cette fois.
En tout cas, le 8 Mars n’est visiblement pas encore prêt au compromis. Alors que les groupes souverainistes "libanisent" l’élection en soutenant Michel Moawad, il semble que c’est surtout au camp des "bulletins blancs" que s’applique le constat de M. Hamadé. Ce sont clairement leurs joueurs qui semblent pour l’instant attendre "de meilleures conditions climatiques et de nouveaux arbitres".