"Les prix sont une véritable folie. Le taux de change du dollar (sur le marché parallèle) est à 40.000 livres, mais on n’a pas le choix. La situation est plus difficile pour ceux qui, comme moi, continuent à percevoir leur salaire en livres libanaises ou en lollars (dollar bancaire, NDLR)!" s’indigne une habitante d’Achrafieh, à la sortie d’un supermarché. Entre l’instabilité du taux de change du dollar sur le marché parallèle et l’entrée en vigueur du Budget 2022, qui prévoit de nouvelles taxes et l’imposition du dollar douanier à 15.000 livres, les prix augmentent rapidement, et ce, de façon non régulée. Face aux errements de l’État, chaque supermarché y va de sa baguette, selon ses propres estimations des évolutions économiques et règlementaires, selon plusieurs directeurs d’établissements interrogés par Ici Beyrouth.

Parmi les consommateurs, c’est l’impuissance et la résignation qui dominent. Les prix montent en flèche tous les mois. Il faut compter près de 40.000 livres pour le kilo de tomates, 40.000 livres le kilo de concombres, 90.000 livres le kilo de yaourt, 75.000 livres la brique de lait… Une inflation insupportable qui a déjà réduit à néant le pouvoir d’achat des classes défavorisées et menace d’exclure la classe moyenne de la grande distribution.

La sécurité alimentaire en jeu

Pour Hani Bohsali, président du syndicat des importateurs, c’est la sécurité alimentaire de la population libanaise qui est en jeu. "En plus du dollar douanier fixé à 15.000 livres, l’imposition d’une taxe de 10% sur les produits importés ayant leur équivalent au Liban, ainsi qu’une majoration supplémentaire de 3% sur tout produit déjà soumis à la TVA, va provoquer une augmentation moyenne de 10 à 15% du prix de la majorité des produits, explique-t-il. Certains produits de première nécessité, comme le riz, le sucre ou les fèves, sont exemptés d’impôt."

Pour M. Bohsali, une telle augmentation aura, dans la conjoncture actuelle, un impact sur les personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts. Le syndicat appelle le gouvernement à publier, dans les plus brefs délais, la liste des produits de base qui seront exemptés de cette hausse des impôts.

Le budget actuel contient de nombreuses zones floues. Pour Hassan Ezzedine, président du groupe Spinney’s, l’augmentation de la taxe douanière sur les produits importés qui ont leur équivalent au Liban, est un signe du manque de sérieux du législateur. "Il est écrit que si le produit est fabriqué au Liban en quantités suffisantes et s’il est de bonne qualité, son importation doit être taxée. C’est le fonctionnaire qui va donc décider. Peut-on être plus subjectif que ça ?" se scandalise-t-il.

M. Ezzedine établit un parallèle entre cette taxation et la subvention de certaines productions locales qui, appliquée de manière chaotique, est l’un des éléments ayant provoqué les pénuries de 2021.

Des prix fixés arbitrairement

"Les prix varient vraiment d’un supermarché à l’autre, de région en région, c’est le chaos, raconte un client. Quand le dollar monte, les prix suivent, mais quand il baisse, il n’y a aucune répercussion sur les prix." Il fait ainsi écho aux plaintes de nombreux Libanais qui accusent les supermarchés de profiter de la fluctuation du taux de change pour maximiser leurs profits.

Hani Bohsali réfute les accusations selon lesquelles les supermarchés appliqueraient un taux de change démesuré, à 45.000 ou 47.000 livres pour un dollar. "Les tarifications n’ont pas excédé les 41.000 livres pour un dollar, selon une recherche menée par le syndicat", affirme-t-il. M. Bohsali n’exclut cependant pas l’hypothèse selon laquelle certains supermarchés auraient augmenté leurs prix de manière arbitraire. Il appelle les autorités publiques à agir dans ces cas précis.

Cependant, il est certain que les prix des produits n’ont pas baissé, même lorsque le taux de change était à son plus bas, et que l’euro, monnaie d’importation d’une partie des marchandises, était faible face au dollar, selon Roy Badaro, économiste. "Cela peut s’expliquer par l’absence d’une véritable loi sur la compétition et la présence de monopoles sur le marché, explique-t-il. Pour une véritable transparence, il faudrait afficher les prix en dollars et conserver le paiement en livres libanaises." Cela permet d’éviter que les commerces anticipent la hausse du dollar et participent ainsi à l’accélération de l’inflation.

Alors que 81% de la population vivent sous le seuil de pauvreté, selon l’Escwa, ce nouveau coup de canif sur le pouvoir d’achat pourrait bien plonger davantage de Libanais dans l’indigence.