Après un premier recours devant le Conseil constitutionnel contre la loi de finances, le Conseil d’Etat pourrait être saisi contre une récente décision du ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, de prélever des impôts sur la part des salaires encaissés en dollars. Le sort de la première requête dépendrait étroitement de celui de la seconde, de l’avis de juristes contactés par Ici Beyrouth.

Deux recours en justice dont il est question actuellement en matière de finances sont à suivre de près, tant en dépend la situation des contribuables.

Une première requête a déjà été présentée devant le Conseil constitutionnel contre la loi de finances pour 2022 et une seconde devrait bientôt l’être devant le Conseil d’État contre une récente décision du ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, de prélever des impôts sur la part des salaires encaissés en dollars. Le sort de la première requête dépendrait étroitement de celui de la seconde, de l’avis de juristes contactés par Ici Beyrouth. Pour l’heure, le Conseil constitutionnel a décidé de ne pas ordonner la suspension des articles contestés, en attendant qu’il statue sur le fond. Il a adopté une décision en ce sens mercredi, à la majorité de ses membres.

Dans les faits, le 23 novembre 2022, M. Khalil a signé et émis un arrêté (686/1 du 23/11/2022) relatif à l’application de l’article 35 de la loi de finances. En vertu de cette décision qui paraîtra probablement demain jeudi au Journal officiel, la perception des impôts se fera sur les salaires encaissés en dollars " frais ", selon le taux de Sayrafa, avec effet rétroactif.

Arguments contre la décision de Khalil

Le recours que préparerait un certain nombre de députés devant le Conseil d’État contre cet arrêté pourrait être basé sur trois griefs, comme le précise l’avocat Karim Daher, interrogé par Ici Beyrouth.

Le premier argument des requérants pourrait porter sur la rétroactivité. " Les lois fiscales sont, par principe, non rétroactives ", affirme M. Daher. Le second grief serait l’entorse au principe d’égalité constitutionnelle devant l’impôt et au principe de solidarité prévu à l’article 14 du code de procédure fiscale, ajoute-t-il. Le troisième élément pouvant être contesté, selon l’avocat, est le droit accordé implicitement, en vertu de cette décision, " au ministre des Finances et au gouverneur de la Banque centrale de déterminer le taux de change ".

Pour présenter leur recours, les députés disposent de deux mois, à compter de la date de publication de la décision du ministre au Journal officiel. Or, il se peut que cette démarche ne soit pas nécessaire, au regard d’un autre recours présenté lundi dernier contre la loi de finances devant l’autorité judiciaire compétente en matière d’examen de la constitutionnalité des lois, à savoir le Conseil constitutionnel (CC).

Recours contre le budget 2022

Le recours contre la loi de finances a été déposé devant lui le 21 novembre par les députés Paula Yacoubian, Michel Doueihy, Mark Daou, Melhem Khalaf, Élias Jradé, Cynthia Zarazir, Neemat Frem, Michel Daher, Jamil el-Sayed, Adib Abdel Massih et Waddah Sadek, en plus de Rami Fanj (dont la députation vient toutefois d’être invalidée).

À supposer que le CC décide de suspendre l’application des articles de la loi de finances (y compris l’article 35, relatif au taux de change effectif), la décision du ministre sortant des Finances serait également suspendue puisqu’elle se base sur l’article 35 de la loi de finances, qu’elle vient appliquer, à l’instar d’ailleurs des autres décisions prises par lui en application du budget 2022.

Si toutefois le CC ne suspend pas l’application des articles du budget, le Conseil d’État devra, une fois le recours contre la décision de M. Khalil présenté devant lui, en étudier les conséquences en vertu des conditions de suspension de telles décisions prévues par l’article 77 de la loi portant organisation du Conseil d’État. S’il considère qu’elles sont graves et irrémédiables, il en suspendra l’application en attendant de trancher sur le fond.

Griefs contre la loi de Finances

Pour rappel, le 15 novembre dernier, le budget 2022 entre en vigueur, entraînant de lourdes répercussions pour les contribuables. Interrogé par Ici Beyrouth, l’avocat Saïd Malek explique que le recours présenté devant le CC contre la loi de finances porte sur 12 griefs. Ces griefs incluent notamment l’entrée en vigueur tardive du texte sur le budget (10 mois et demi après le début de son année d’exécution). D’après la Constitution, le budget doit être adopté à la fin du mois de janvier de l’année où il est exécuté. Un deuxième grief se base sur une violation de l’article 87 de la Constitution qui dispose que pour que le budget entre en vigueur, les comptes de l’année précédente doivent être approuvés, démarche qui n’a pas été entreprise pour le budget 2022. Est également soulevée devant les juges constitutionnels la violation de l’article 84 de la Constitution, en vertu duquel la Chambre " ne peut, au cours de la discussion du budget et des projets de loi portant ouverture de crédits supplémentaires ou extraordinaires, relever les crédits proposés dans le projet de budget ou dans les projets sus-indiqués, ni par voie d’amendement, ni par voie de propositions indépendantes ".

Au lieu de s’employer à émettre des décisions qui risquent fort bien d’être entachées d’illégalité, l’on se demande si le ministre Khalil ne ferait pas mieux de prêter attention à la signature du décret des nominations judiciaires.