À l’opposé de bon nombre de parties qui se sentent lésées par la décision de chef du Courant du Futur Saad Hariri de se retirer de la vie politique au stade actuel, au point de véhiculer l’idée que la seule alternative à ce dernier est l’extrémisme et les extrémistes, les forces de la révolution et du changement s’attellent à conquérir le public du parti " bleu " et à le convaincre que non seulement cette alternative existe, mais qu’elle est aussi capable de redresser le pays si l’occasion lui est donnée.

Les militants au sein de ces groupes qui prônent le changement font face à divers défis, parmi lesquels figure l’attachement affectif que ressent le public du Courant du Futur à l’égard de son chef, conjugué au scepticisme d’une grande partie des électeurs quant à la capacité des nouvelles figures qui émergent à faire la différence et opérer le changement tant attendu. Plus important encore, la tendance de voir une majorité écrasante des électeurs de M. Hariri boycotter les élections conformément à sa demande.

Suite au retrait du chef du Courant du Futur, les militants estiment qu’ils peuvent réaliser une percée dans l’une des plus importantes circonscriptions de Beyrouth, à savoir Beyrouth II, où ce dernier se portait habituellement candidat, et qui comprend Ras Beyrouth, Aïn Mreïssé, Mina el-Hosn, Zokak el-Blatt, Mazraa, Mousseïtbé, le Port et Bachoura.

Le nombre d’électeurs inscrits à Beyrouth II s’élève à 365.147, dont 147.801 ont voté lors des élections de 2018, où 9 listes électorales ont croisé le fer pour pourvoir à 11 sièges parlementaires: 6 pour les sunnites, 2 pour les chiites, un pour les grecs-orthodoxes, un pour les évangélistes et un pour les druzes.

Trois listes ont réussi à s’assurer le quotient électoral: la liste du " Futur pour Beyrouth ", constituée par le Courant du Futur, avait raflé 5 sièges, alors que la liste de " l’Unité pour Beyrouth ", formée par le Hezbollah et ses alliés, en avait remporté 4. Le chef du parti du Dialogue national, le député Fouad Makhzoumi, qui présidait la liste du " Liban le vaut bien ", avait réussi quant à lui à assurer son élection.

Membre du bureau politique du parti d’opposition " Lana ", Hassan Fayçal Sinno, qui est supposé se porter candidat à Beyrouth II, considère que le retrait de M. Hariri, comme celui tous les autres dirigeants politiques, constitue une revendication qui s’inscrit dans le cadre du slogan " kellon yaani kellon” (“Tous, cela veut dire tous”), et fait état de tentatives mises en œuvre pour " gagner les électeurs du Courant du Futur en leur assurant qu’une alternative digne de confiance existe et mérite d’avoir sa chance ". Il évoque également les difficultés rencontrées à ce niveau, d’autant que l’électorat du Courant du Futur vote depuis de longues années en faveur des candidats de cette formation politique, sans compter son lien affectif à l’égard de Saad Hariri.

Concernant les chances des forces de l’opposition dans cette circonscription, M. Sinno déclare à Ici Beyrouth que " ces dernières dépendront du taux de participation”. “En d’autres termes, une participation faible nous portera préjudice, tandis qu’une forte participation pourrait nous garantir entre un et cinq sièges ", dit-il, tout en déplorant à la fois " l’insistance des partis au pouvoir à montrer que l’extrémisme est la seule alternative à M. Hariri, et l’appel de ce dernier à ses partisans de se retirer comme lui et de ne pas participer aux élections ".

La première circonscription du Nord, le Akkar, constitue un vivier d’électeurs de taille pour le Courant du Futur. Les électeurs inscrits dans cette circonscription sont au nombre de 293.071, dont 136.947 avaient voté lors des dernières législatives. Six listes électorales s’y disputaient 7 sièges parlementaires: 3 pour les sunnites, 2 pour les grecs-orthodoxes, un pour les maronites et un pour les alaouites. Deux listes s’étaient assurées le quotient électoral, à savoir la liste du " Futur pour le Akkar " affiliée au Courant du Futur, qui avait remporté 5 sièges, et la liste du " Akkar fort " affiliée au Courant patriotique libre, qui en avait gagné deux.

Le général à la retraite du Front du 17 Octobre et membre de la Coalition des forces pour la révolution et le changement au Akkar, Georges Nader, estime que le " public de Saad Hariri est désemparé et considère que ses alliés l’ont poignardé dans le dos, d’où son refus de voter pour eux et encore moins pour ses adversaires, le Hezbollah et le Courant patriotique libre, ce qui renforce nos chances en tant que forces issues de la révolution”.

Le général Nader ajoute à Ici Beyrouth, que " la coalition dont nous faisons partie englobe 7 groupes principaux issus de la révolution et du mouvement du 17 Octobre, qui ont pour objectif de se présenter aux élections sur une liste unifiée dans le respect des principes de souveraineté…”

“Nous sommes en contact avec le public du Courant du Futur dont une large frange votera pour nous dans le Akkar, comme dans la plupart des régions où cette formation est présente”, souligne-t-il.

Quant à l’expert électoral Antoine Moukheiber, il estime que " la scène sunnite est désormais scindée en trois”. Selon lui, une partie est toujours attachée au Courant du Futur en dépit de la décision de son chef et apportera son soutien à tout candidat qui se présentera sous l’étiquette du parti, ou ayant la même sensibilité. Une autre partie profitera à Baha’ Hariri, au duopole chiite, aux Forces libanaises, à Fouad Makhzoumi et à d’autres personnalités. La troisième votera pour les candidats des groupes issus de la révolution.

Dans un entretien à Ici Beyrouth, M. Moukheiber précise que " le retrait de M. Hariri sert à coup sûr ces groupes issus de la révolution, d’autant que la rhétorique qui joue sur la fibre confessionnelle est en net recul dans ces milieux”.

“Les électeurs qui sont de plus en plus séduits par le discours de la révolution ne voteront pas en faveur des partis traditionnels sectaires au détriment de cette dernière”, dit-il.