Nul doute sur les bonnes intentions des animateurs de la "primaire populaire" de la gauche, principalement Mathilde Imer et Samuel Grzybowski. Mais il est des erreurs de conception qui ne pardonnent pas: ils l’ont appelée "primaire", mais elle ne l’est pas vraiment. Une primaire résulte dans l’exclusion de celui qui perd, or plusieurs perdants se présenteront quand même à l’élection présidentielle.

Cette consultation était néanmoins une expérience importante, et le taux de participation chez "le peuple de gauche", avec 390.000 votants, une réussite. Dans la fragmentation attristante issue principalement de la décision de François Hollande de ne pas briguer un second mandat en 2017, le Parti socialiste n’est pas encore parvenu à se relever. En s’engouffrant dans le vide de manière opportuniste, Emmanuel Macron, que M. Hollande a "créé" en le nommant ministre de l’Économie, a accéléré la déchéance d’un parti essentiel pour la qualité politique de la vie publique. Il est d’autres raisons, sans doute, et il ne s’agit pas de résumer ici une histoire forcément compliquée. Le constat des organisateurs de la "primaire populaire" était juste: il fallait insuffler un nouveau dynamisme pour réunir la gauche. Une consultation électronique, surtout en temps de Covid, était nécessaire.

Seulement les détails ont été mal pensés. Et les détails dans ce genre d’aventure innovante en démocratie sont essentiels.

Par-delà son appellation erronée, il y avait au moins deux erreurs fondamentales dans la conception de cette consultation en ligne. La première erreur était dans l’insertion malgré eux de trois "candidats" qui ne voulaient pas participer à l’exercice. Légalement, cela était sans doute possible, mais la civilité démocratique décrète l’impossibilité d’inclure des gens opposés à un vote qui les concerne directement. La seconde est dans le côté infantile des cinq "mentions" que le votant devait choisir: mention très bien, passable, etc. Soit le vote est sérieux et on peut imaginer qu’il se fasse à deux tours, mais la manière choisie de décerner de bons points façon boy-scout n’est pas sérieuse, encore moins déclarer vainqueur celui qui a eu le plus grand nombre de bons points. Le règlement de la primaire populaire était décrété d’en haut par les organisateurs, il fallait qu’ils agissent de manière beaucoup plus réfléchie tant le mode de scrutin est important pour la réussite de l’exercice.

Toujours est-il que le résultat global est mauvais. L’éditorial du Monde en a souligné "l’impasse". La gauche ne s’en relèvera pas facilement. On demande maintenant à la gauche, toute la gauche, de se ranger derrière le vainqueur, mais elle a de bonnes raisons de ne pas le faire. Et c’est bien dommage.

L’exercice de nos collègues français dans l’innovation démocratique est important pour nous au Liban, et au-delà. L’union des forces de la révolution non violente que nous vivons depuis deux ans est ce qui manque principalement pour aider à sortir de l’autocratie du mandat Aoun. Dans un contexte plus large, la consultation électronique populaire est une innovation démocratique importante, et elle se pratique de plus en plus.

Au Liban, le Conseil élu (Majlis Muntakhab [MM]) de la Révolution que nous prônons avec un minimum de 100.000 voix en est un exemple (avec en France 400.000 votants pour la "primaire", pour un pays qui compte au moins dix fois plus d’habitants que chez nous, 100.000 est un seuil expressif de légitimité). Le MM cherche à mieux rassembler par des élections "le peuple de la Révolution".

Dans un contexte comparatif plus large, ce genre d’exercice est important dans la lutte entre dictature/autocratie et démocratie/droits humains, à la base de la vision Biden. Dans les grandes luttes ouvertes entre l’autocratie et la démocratie, des consultations en ligne permettent aux mouvements démocratiques de laminer le carcan autoritaire. On peut les imaginer en Algérie, en Palestine, en Irak, au Venezuela, avec des modulations différentes.

Il faut multiplier les expériences, même au cœur des grandes autocraties, par exemple à Hong Kong ou en Russie autour d’Alexei Navalny. Nos amis démocrates russes savent bien comment l’autocrate au pouvoir organise ses "élections". Mais M. Poutine ne pourra pas facilement empêcher des élections organisées en ligne en dehors de la Russie, qui comprendraient aussi ceux à l’intérieur qui souhaitent voter en soutien de M. Navalny ou d’un mouvement rassembleur de la vaste opposition russe à la dictature.

L’échec de la primaire populaire en France est regrettable pour tous ces mouvements à la recherche d’un "directoire" (terme de notre compagnon de route, Farès Souhaid) pour canaliser les ambitions de la non-violence. Voici donc quelques leçons à tirer de l’échec de la "primaire populaire" pour le Liban: pas de boy-scoutisme, soyons professionnels et sérieux. Une élection ne peut obliger une personne à être candidate. Elle ne décerne pas de bons points non plus. Il est utile de procéder par étape pour rassurer les votants. Il faut exposer "le règlement" au public avant de l’adopter de manière décisive. Si ce travail n’est pas fait de manière professionnelle et réfléchie, les retours de boomerang seront graves, et l’espace démocratique affaibli par une consultation importante qui a échoué.

Mais le principe est sain. En Russie, en Algérie, à Hong Kong, les grands mouvements non violents doivent, peuvent, organiser des consultations électroniques, y inclus des votes, de manière à laminer la dictature en rassemblant les démocrates et adhérents aux droits humains universels en conflit avec l’autoritarisme. Note à M. Biden et aux amis de la démocratie américaine: vous devriez vous poser la question si les États-Unis n’ont pas besoin de modes pareils de consultation pour arrêter la vague autocratique de Donald Trump en passe de détruire votre système.

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