À l’occasion du 75ème anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre l’État du Vatican et la République Libanaise ; du 25ème anniversaire de l’Exhortation apostolique remise par le Pape Saint Jean-Paul II au Liban où il évoque ce pays comme "message de paix" ; du 15ème anniversaire de la visite du Pape Benoît XVI, un colloque se tient les 2 et 3 février à l’USEK, sur le thème du "Liban-Message", durant lequel une session spéciale est consacrée au "Document d’Abou Dhabi sur la fraternité humaine : pour la paix mondiale et la coexistence commune". Le sous-secrétaire d’État pour les relations avec les États, Mgr Paul Gallagher, est actuellement à Beyrouth à l’occasion de ce colloque. Comment lire cette visite à ce moment précis de la vie libanaise?

Le chef de la diplomatie du Vatican, Mgr Paul Gallagher, est un diplomate chevronné. Sa visite au Liban semble donc de nature politique. Le Liban demeure en effet un enjeu géostratégique majeur aux yeux du Saint-Siège. Certains ont pensé qu’il est là afin de préparer une éventuelle visite du Pape François à Beyrouth. Tel ne semble pas être le cas même si une telle visite comblerait les souhaits du peuple libanais dans son ensemble. Qui ne se souvient pas de l’événement principal de la visite de Jean-Paul II en 1997, à savoir la messe pontificale célébrée le 30 mai sur le port de Beyrouth, avec en arrière-plan la ville en ruines après 15 ans de guerre civile et dont la reconstruction venait à peine de débuter. Tous les observateurs avaient remarqué, après cette messe, le retour des foules parmi les décombres de la ville dans un silence quasi palpable de sérénité apaisée. La vie semblait couler de nouveau, en toute quiétude, dans les artères de la ville meurtrie grâce au "passage du divin" en quelque sorte. Une brise d’espoir rafraîchissait l’air en cette torride journée. Aujourd’hui, le même port est en cendres, Beyrouth est une ville-fantôme et le peuple libanais, pillé et appauvri, vit dans l’angoisse du lendemain au sein d’un non-État.

On espère voir un jour le Pape François renouer avec le geste de Jean-Paul II, et célébrer une messe solennelle au port de de la capitale libanaise, dévastée et ruinée par l’explosion criminelle du 4 août 2020. Une messe de consolation pour les survivants au milieu de l’enfer actuel, mais également de requiem pour le repos des âmes de toutes les victimes innocentes, tant celles de l’apocalypse elle-même que celles de toutes les violences politiques et religieuses qui ensanglantent les terres de l’Orient. Le bon peuple est convaincu que ce Pape, marqué par la spiritualité de Saint François d’Assise, saura comme à son habitude, trouver les paroles prophétiques nécessaires afin d’exiger, et non de réclamer, que justice soit faite en faveur des victimes et de la ville, car sans justice la fraternité humaine n’a aucun sens. Tel est le message du document d’Abou Dhabi et de la récente encyclique Fratelli Tutti. L’Église possède l’autorité morale suffisante pour exiger de tout pouvoir politique d’aplanir toute entrave qui pourrait se dresser devant la justice.

L’expression "Liban-Message" est souvent utilisée à titre de slogan sans substance. Quel est donc le contenu de ce message supposé s’adresser au monde comme modèle pacifique de vivre-ensemble dans la diversité, et de partenariat convivial dans la gestion de la chose publique? L’éminent diplomate n’est pas à Beyrouth pour appuyer des revendications outrancières sur les "droits des chrétiens". Il ne vient pas non plus renouveler la maladresse d’Emmanuel Macron qui a cru qu’il pouvait contenir les manœuvres retorses de la caste politicienne libanaise. Son déplacement est d’abord un signe de solidarité avec un État souverain. Sa participation au colloque de l’USEK indique l’importance géostratégique du Liban pour la diplomatie du Saint-Siège. Il ne s’agit pas du Liban comme ghetto chrétien fermé sur lui-même.

Le message du Liban s’appelle "Document d’Abou Dhabi sur la fraternité humaine" qui représente le chaînon manquant au Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Les droits proclamés en 1948 n’ont pas de fondement métaphysique à l’image de ceux de 1789 proclamés au nom de l’Être Suprême et de la Raison universelle. En 1948, seul le mot de "dignité" sert de substitut à un fondement satisfaisant. La Déclaration de 1948, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) usent, dans leurs articles 18 des termes de "religions ou conviction". Le document d’Abou Dhabi utilise le terme de "foi" au sens inclusif et global. L’acte de foi constitue ainsi la matrice commune des croyances et crée une communauté dans la pleine diversité que cette notion implique. Le document inclut chaque membre de l’unique famille humaine. Par cette ouverture à la transcendance, il englobe les croyants ainsi que les non-croyants. Il le fait "Au nom de Dieu… Au nom de l’âme humaine… Au nom des pauvres… Au nom des orphelins… Au nom de la liberté que Dieu donne… Au nom de la justice et de la miséricorde, pivots de la foi".

Ce même document d’Abou Dhabi est également et fortement proclamé "Au nom des peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence commune, devenant victimes des destructions, des ruines et des guerres". Il est difficile de ne pas inclure le Liban dans cette tragique catégorie.

Paul Gallagher est là aussi pour les chrétiens du Liban. Que peut-il leur dire sinon leur faire comprendre que leur expérience commune est en train de porter ses fruits en facilitant les choix politiques et stratégiques des pays de la presqu’île arabique, qui semblent aujourd’hui vouloir rompre avec un islamisme radical et se rapprocher de la Méditerranée et de l’Occident. Choix opportuniste? Peut-être; mais il s’agit d’un point de non-retour. Ils ne peuvent plus faire marche arrière. À l’opposé, le Liban et le Levant ont su mettre en place un vivre-ensemble unique, qui aujourd’hui semble malheureusement se déliter dans une illusoire alliance des minorités.

Les chrétiens du Liban entendront-ils la voix du bon sens? Vont-ils comprendre que leur présence et leur salut en Orient sont tributaires de leur rôle d’apôtres du contenu du document d’Abou Dhabi et de l’encyclique Fratelli Tutti? La traduction politique de ce rôle est entièrement contenue dans la Constitution libanaise issue des accords de Taëf.

La balle est entre les mains des chrétiens tentés par les sirènes d’au-delà de l’Euphrate.