L’émissaire américain Amos Hochstein arrive mardi en fin de journée à Beyrouth pour une visite officielle destinée à redynamiser le dossier des pourparlers indirects libano-israéliens sur la délimitation des frontières maritimes, dans la perspective d’une exploitation des ressources gazières et pétrolières offshore. Les discussions menées sous la houlette de l’ONU, grâce à une médiation des États-Unis, sont bloquées depuis fin 2020 en raison d’un revirement de position du Liban qui avait revendiqué en décembre de la même année 1430 km² supplémentaires au sud du pays, à la frontière avec Israël, alors que les négociations initiales portaient sur une zone contestée de 860 km². Elles s’étaient arrêtées abruptement, mais les contacts en coulisses ne devaient pas être forcément suspendus, comme devaient l’affirmer à l’époque des sources américaines proches du dossier.

Ces contacts auraient débouché sur un package deal que l’émissaire américain a proposé à Tel-Aviv durant sa récente visite en Israël, et qu’il va soumettre mercredi aux pôles du pouvoir. La double visite d’Amos Hochstein dans la région, mais aussi les propos positifs tenus aussi bien à Tel-Aviv qu’à Beyrouth sur une volonté de reprendre les négociations, présagent d’une volonté commune d’avancer au niveau d’un dossier sur lequel se greffent de nombreux enjeux géopolitiques.

Pour Washington, un deal entre le Liban et Israël sur la prospection gazière offshore irait dans le sens d’un apaisement dans la région, au moment où plusieurs pays arabes ont repris langue avec Tel-Aviv. Il ouvrirait aussi la voie à des négociations libano-israéliennes sur les frontières terrestres, toujours sous les auspices des Nations unies, qui avaient tracé des frontières fictives, la " Ligne bleue ", appelée aussi ligne de retrait, après le repli israélien du Liban-Sud en mai 2000. Un tel scénario devrait en principe remettre sur le tapis l’application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité, dans la mesure où il ôterait au Hezbollah le prétexte qu’il avance pour préserver ses armes.

Pour Israël, les enjeux sont autrement plus importants. Tel-Aviv a lancé depuis longtemps les opérations d’exploration de ses ressources gazières et pétrolières offshores. Le développement de ses activités au large de ses côtes bute cependant sur des hésitations de compagnies internationales qui ne souhaitent pas s’engager dans des zones à conflit. Ce qui explique son empressement à un accord avec le Liban. Celui-ci s’est notamment reflété dans les propos de la ministre israélienne de l’Énergie, Karine el-Harrar, qui s’était de nouveau prononcée il y a quelques semaines pour " des solutions créatives " avec le Liban.

Dans le même temps, à Beyrouth, le président de la République libanaise Michel Aoun se disait prêt à une reprise des négociations avec Israël. Celles-ci sont hautement importantes pour le pays en proie à une crise existentielle et qui peine à se remettre sur pied, mais aussi pour le camp présidentiel qui a besoin d’une réalisation à son actif, à quelques mois de la fin du sexennat, un des plus pénibles pour les Libanais.

Proposition de règlement

La revendication libanaise de 1430 km² supplémentaires au large des côtes libanaises, fondée sur des cartes de l’armée et des données de l’Institut hydrographique britannique, permet au Liban d’élargir sa Zone Économique Exclusive, mais se heurte à une opposition israélienne, Tel-Aviv n’étant pas près de faire des concessions sur les champs de Karish et de Qana revendiqués par le Liban. Le champ de Karish se trouve à la limite de la zone contestée de 860 km², au sud de la ligne 23 enregistrée par Beyrouth à l’ONU, mais au sein des nouveaux 1430 km² revendiqués par Beyrouth, soit au niveau de la ligne 29 qui n’est cependant pas enregistrée auprès des Nations unies.

Mais dans une note récente à l’ONU, à la suite de protestations israéliennes, le Liban a réaffirmé ses droits sur les blocs 8, et 10 et réclame que le champ de Qana situé dans le bloc 9, qui fait également l’objet d’un litige avec Israël, soit inclus dans sa ZEE, tout en mettant en garde les compagnies pétrolières internationales contre des prospections dans les champs contestés.

Amos Hochstein, dont on dit que la mission en Israël et au Liban est celle de la dernière chance, est porteur d’une proposition de règlement au sujet de laquelle rien n’a filtré. Mais de sources proches du dossier, on croit savoir que l’émissaire américain pourrait proposer aux Libanais une solution temporaire qui prévoit un retour à la ligne Hof, du nom du premier médiateur américain, Frédéric Hof, (2010 à 2012) qui avait réparti la zone contestée de 860 km² entre le Liban et Israël, accordant 55% au premier et 45% au second. Cette proposition avait été rejetée par le Liban qui la considérait injuste et non conforme à son droit. Mais Amos Hochstein pourrait suggérer qu’une compagnie pétrolière américaine commence les travaux de forage et qu’elle distribue le gaz ou le pétrole extraits en fonction de cette répartition, en attendant l’aboutissement des négociations qui se poursuivront parallèlement entre Beyrouth et Tel Aviv. Une information qui n’est pas confirmée mais qui circule dans certains milieux, qui redoutent une réponse négative des autorités libanaises, dans la mesure où l’émissaire américain a clairement fait savoir à ses interlocuteurs libanais qu’il lui importe qu’un règlement soit trouvé avant les élections législatives au Liban, faute de quoi il mettra fin à sa mission. Amos Hochstein viendrait cette fois au Liban avec une proposition dans le style " take it or leave it " (c’est à prendre ou à laisser).

Citant un haut responsable israélien, le site d’informations Axios révélait en novembre dernier que la proposition de l’émissaire américain " ne sera appréciée par aucune des deux parties " et que ce dernier leur donne un ultimatum de trois à quatre mois pour réfléchir, après quoi " il laissera tomber toute l’affaire s’il constate un refus ".