Nul ne souhaite un nouvel arrêt des réunions du Conseil des ministres, à condition qu’elles se limitent aux dossiers à caractère économique.

C’est presque en catimini que le président de la République Michel Aoun a fait valider certaines nominations sécuritaires contestées par le duopole chiite, à l’occasion du Conseil des ministres de jeudi. Il a ainsi proposé, alors que le débat sur le projet de budget 2022 paraissait se poursuivre, de se pencher sur les nominations en dehors de l’ordre du jour, prenant de cours d’autres parties au sein du cabinet. Le ministre de la Culture Abbas Mortada (Hezbollah) a aussitôt réagi en contestant une telle initiative sans entente préalable entre les parties concernées. A suivi un échange discret entre le chef de l’État et le Premier ministre Nagib Mikati, avant que le premier ne lève la séance à mardi prochain (15 février) et annonce à la presse l’approbation du budget.

Sans avoir été soumises au vote au sein du Conseil, et loin de faire l’unanimité, ces nominations ont quand même été citées, dans le compte rendu officiel lu au titre des décisions prises par le cabinet. Le Premier ministre n’a fait aucune mention de ces nominations dans son point de presse et a paru adhérer implicitement à la démarche du chef de l’État.

Le général Mohammad el-Moustapha a ainsi été nommé secrétaire général du Conseil supérieur de la défense (sunnite) et le général Pierre Saab membre du Conseil militaire (grec-catholique). Le premier nom a été entériné par le Premier ministre et le second correspond au choix du chef de l’État, selon nos informations. En outre, Ziad Nasr, directeur général de l’office du transport a été nommé commissaire du gouvernement par intérim auprès du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), succédant à Walid Safi, passé à la retraite.

Contre la proposition du chef de l’armée…  

Le nom du nouveau membre catholique du Conseil militaire ne correspond pas à celui proposé par le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Ce dernier s’était d’ailleurs rendu à Baabda il y a près d’une semaine, avec le ministre de la Défense (qui s’est rendu au palais vendredi), pour confier formellement sa proposition au président, en le présentant d’ailleurs à l’officier en question à la même occasion. Alors que l’entretien a paru positif, le chef de l’État a soumis un nom différent en Conseil des ministres jeudi. Un nom qui correspondrait au souhait de son gendre, l’ancien ministre Gebran Bassil, selon une source indépendante informée.

La manœuvre à laquelle MM. Aoun et Mikati ont eu recours pour entériner des nominations pose la question de sa légalité. Le président de la République peut suggérer des sujets de discussion en dehors de l’ordre du jour conformément à la Constitution, confirme un expert à Ici Beyrouth. Mais il ne saurait empêcher que ce sujet soit soumis au vote, d’autant plus lorsque celui-ci est exigé par la Constitution, comme c’est le cas pour les nominations à des postes de première catégorie.

Or, le président a court-circuité ce vote lors du dernier Conseil des ministres, et il l’a fait de connivence avec le Premier ministre. " C’est une violation de la Constitution coordonnée entre les deux hommes ", analyse un expert constitutionnel. Constat qui suscite l’ironie, au vu de la guerre des prérogatives que mène Michel Aoun contre la présidence du Conseil.

Une manœuvre contre une autre

La manœuvre s’est faite au détriment de la composante "chiite" du cabinet, accaparée par le duopole Hezbollah-Amal, qui fait un autre usage "inconstitutionnel" de ses prérogatives via le ministère des Finances, régulièrement attribué à la communauté chiite selon un usage récent accompagnant la mainmise du Hezbollah sur le pays. Un portefeuille intéressant pour le duopole puisque le contreseing du ministre des Finances est exigé sur la plupart des actes émanant du gouvernement. Il peut donc bloquer, quoi qu’inconstitutionnellement, les décisions qui ne lui conviennent pas. Le mécontentement du chef du mouvement Amal et président de la Chambre Nabih Berry, pris de court par la manœuvre de MM. Aoun et Mikati, a été rapporté par certains milieux politiques. Si bien qu’il a été question que le décret des nominations ne soit pas signé par le ministre des Finances.

Mais selon des sources de l’agence al-Markaziya, cette menace de blocage aurait vite fait son effet: un nouveau directeur adjoint de la Sécurité de l’État (poste attribué à la communauté chiite) pourrait être nommé lors de la prochaine réunion du cabinet, à partir des noms proposés par Amal et le Hezbollah.

Ce rééquilibrage devrait clore ainsi le dossier des nominations.

Nul ne souhaite un nouvel arrêt des réunions du Conseil des ministres, à condition que ces réunions se limitent aux dossiers à caractère économique. Telle est la condition implicite de la reprise des réunions, après trois mois de boycottage par le duopole chiite levé en décembre dernier, selon des sources politiques concordantes. Une condition que dément M. Mikati, mais que paraît confirmer la manœuvre Aoun-Mikati, en mettant en avant la malléabilité du second envers le premier.

Mikati et les prérogatives constitutionnelles

Le bureau du Premier ministre a publié hier en soirée une mise au point. Il a rappelé que " l’ordre du jour du Conseil des ministres relève exclusivement " de ses prérogatives et qu’il peut en faire part au président de la République, " qui se réserve le droit de proposer un point en dehors de l’ordre du jour ". Il a de ce fait démenti toute information sur quelque compromis que ce soit, ayant permis la relance du Conseil des ministres. Le Premier ministre "n’accepte pas que quelqu’un décide pour lui de l’ordre du jour ou empiète sur ses prérogatives ou les définisse (…). Il est clair dans sa position selon laquelle il n’y aura pas de compromis au prix des prérogatives constitutionnelles", conclut son bureau.