Les ministères libanais des Affaires étrangères et de l’Intérieur prépareraient un décret permettant de renouveler les passeports périmés des expatriés pour une durée limitée et un coût symbolique.

Décidément, le droit de vote des émigrés libanais est un vrai parcours semé d’embûches. A chaque fois que ces derniers se rapprochent un peu plus du but, et donc des urnes, un nouvel obstacle apparaît. Cette fois, il s’agit des papiers d’identité requis pour participer au scrutin. En effet, et selon des émigrés militants, une part significative des 225 624 Libanais autorisés à voter à l’étranger ne disposeraient d’aucun des deux documents requis par la loi électorale : un passeport valide ou une carte d’identité. Une proposition de loi leur permettant de voter avec n’importe quelle pièce d’identité, valide ou périmée, figurait lundi à l’ordre du jour de la réunion du Parlement, mais n’a pas été discutée car son caractère de double urgence grâce auquel elle peut être discutée en séance plénière sans passer par les commissions, n’a pas été approuvé.

Alors qu’il semble difficile que ce texte réapparaisse de sitôt en séance plénière, une autre solution pointe à l’horizon. Selon des sources diplomatiques, les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur seraient en train de préparer un décret permettant le renouvellement des passeports des émigrés pour une durée limitée et à un tarif réduit, pour leur permettre de participer aux élections. Cela rappelle un précédent en 2018, lorsque les émigrés avaient bénéficié d’un " voting passport " (passeport de vote) à prix réduit.  La vidéo ci-dessous par exemple avait été diffusée par l’ambassade de Liban à Paris, encourageant les Libanais à obtenir un passeport, ou renouveler l’ancien pour un an, pour 1000 livres libanaises.

Lorsqu’ils se sont inscrits en masse, du 1er octobre au 20 novembre 2021, pour participer aux élections, les Libanais de la diaspora avaient la possibilité d’utiliser un passeport, une carte d’identité ou un extrait d’état-civil, valide ou périmé, en plus d’un document prouvant qu’ils résidaient à l’étranger. Or pour voter, la loi électorale en vigueur (la loi 44/2017), et plus précisément son article 118, prévoit seulement l’utilisation d’un passeport valide ou d’une carte d’identité.

" Pourquoi nous a-t-on permis de nous inscrire avec le document disponible, et ne nous permet-on pas d’utiliser ce même document pour voter ? ", se demande Wissam Yafi, Libanais installé aux Etats-Unis et actif au sein de la diaspora. Estimant que cette mesure " ne reflète pas de bonnes intentions vis-à-vis des émigrés ", il considère que la classe politique semble préférer que les Libanais de la diaspora ne votent pas, ou que le nombre de votants parmi eux soit réduit au maximum.

Proposition de loi

Pour éviter tout problème lors du vote des émigrés, le député des Forces libanaises Georges Okais a présenté une proposition de loi les autorisant à voter avec un passeport, un extrait d’état-civil ou une carte d’identité, qu’ils soient valides ou périmés. Ce texte, revêtu du caractère de double urgence, figurait à l’ordre du jour de la séance plénière de lundi. Mais son caractère de double urgence n’ayant pas été approuvé, il n’a plus pu être débattu.

M. Okais explique avoir présenté ce texte en décembre, juste après la fin du délai d’inscription des émigrés le 20 novembre. " J’avais remarqué qu’il y avait un problème au niveau des papiers d’identité, ainsi que de mauvaises intentions politiques ", relève-t-il.

Il précise dans ce cadre que lorsque le président du Parlement Nabih Berry a soumis au vote le caractère de double urgence de la proposition de loi, les députés des Forces libanaises et du Parti socialiste progressiste ont voté pour, alors que ceux du Hezbollah, du mouvement Amal et du CPL ont voté contre. De ce fait, le texte sera déféré à une ou plusieurs commissions parlementaires par le président de la Chambre.

" Même si, dans le meilleur des cas, la proposition de loi est transférée à une seule commission, celle de l’Administration et de la Justice, et si elle approuvée, figurera-t-elle de nouveau à l’ordre du jour d’une séance plénière, ", se demande M. Okais, qui est pratiquement certain que ce ne sera pas le cas.

Il souligne dans ce cadre l’importance du vote des Libanais de l’étranger, " qui ont démontré par le grand nombre d’inscrits, leur volonté d’apporter du sang neuf au Parlement ", dénonçant les " nombreuses tentatives de plusieurs forces politiques, notamment le CPL, de torpiller le vote des expatriés ".  

S’il précise que les Forces libanaises bénéficieront du vote des émigrés, il reconnaît que les forces du changement en tireront profit aussi. D’ailleurs, cette idée ne le dérange pas. " Pour moi, la Thaoura et la société civile sont de loin préférables au Hezbollah, au mouvement Amal ou au CPL ".

" Réduire le nombre de votants "

" Tout ce qui facilite le vote des émigrés est le bienvenu ", souligne Wissam Yafi, qui regrette que la proposition de loi n’ait pas été votée. Il estime dans ce cadre que " de nombreux partis politiques représentés au parlement, notamment le CPL, n’ont pas intérêt à ce que les expatriés votent, parce qu’ils savent qu’ils vont perdre des sièges, et c’est pour cela que ce texte a été rangé dans un tiroir ".

Pour lui, cette démarche s’inscrit dans le cadre des nombreuses entraves au vote des expatriés. Les craintes de nombreux émigrés, à l’instar de M. Yafi, de ne pas pouvoir exercer leur droit civique, sont accentuées par le fait qu’ils ont dû jusqu’à présent faire face à de nombreux obstacles, qu’ils ont tous surmontés. Ils ont d’abord mené une longue bataille pour consacrer leur droit de voter, comme leurs concitoyens de la métropole, selon leur circonscription d’origine et non pour une 16ème circonscription dédiée aux non-résidents. A peine avaient-ils fêté cette victoire que le Courant patriotique libre présentait un recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel, un recours qui n’a heureusement pas abouti à les priver du droit de " voter pour les 128 et non les 6 ". En parallèle, ils déployaient des efforts pour s’inscrire sur le site consacré à cette fin par le ministère des Affaires étrangères, un site compliqué mais dont ils avaient fini par maîtriser les rouages.

Alors qu’une rumeur circule sur une proposition de loi qui serait présentée par le bloc parlementaire du CPL pour remettre la 16e circonscription sur la table, rumeur démentie par certains députés du courant, le même bloc réclame l’adoption des méga-centres de vote au Liban. Cette demande, qui avait été présentée par le chef de l’Etat et fondateur du CPL Michel Aoun, aurait été considérée comme réformatrice en temps normal. Cependant, elle est quasi-impossible à appliquer à trois mois des élections prévues en mai, et menace, selon les experts, la tenue de toute l’opération électorale.

M. Yafi estime que le député Gebran Bassil, " qui a le plus à perdre, a d’abord essayé de nous empêcher de voter selon notre circonscription d’origine, et n’ayant pas réussi à le faire, il souhaite à présent, avec d’autres groupes politiques, réduire au maximum le nombre de votants à l’étranger ".

Pour réclamer de nouveau leurs droits, les émigrés ont commencé à examiner les meilleures solutions, et pourraient de nouveau faire campagne auprès des ambassades libanaises et des médias, souligne Wissam Yafi. " Les autorités essaient-elles de pousser les Libanais de l’étranger à se désengager de leur pays ? ", se demande-t-il.

Le précédent de 2018

Si le nombre exact d’émigrés qui ne disposent pas de passeports valides ou de cartes d’identité n’est pas disponible, les estimations divergent d’une source à l’autre, les plus pessimistes considérant que près de la moitié des inscrits n’en possède pas. Alors que parmi les jeunes émigrés partis récemment, la majorité détient des pièces d’identité lui permettant de voter, ce n’est pas le cas des expatriés partis depuis de longues années et n’ayant jamais renouvelé leurs passeports. En effet, les formalités de renouvellement des passeports à l’étranger ne sont pas faciles, et souvent coûteuses et longues.

En 2018, le ministère des Affaires étrangères, dirigé à l’époque par le député Gebran Bassil, qui était beaucoup plus enthousiaste qu’aujourd’hui par rapport au vote des émigrés, avait tout fait pour faciliter la participation de la diaspora aux législatives. Le ministre avait en effet publié le 21 mars 2018 le décret 2563, permettant aux ambassades d’émettre ou de renouveler les passeports libanais pour la modique somme de mille livres libanaises. Ne pouvaient en bénéficier que les expatriés inscrits sur les listes électorales, et jusqu’au scrutin seulement.


Cette vidéo avait été diffusée par l’ambassade de Liban à Paris, encourageant les Libanais à obtenir un passeport, ou renouveler l’ancien pour un an, pour 1000 livres libanaises.

 

Un mois et 5 dollars ?

Il semble que la même solution serait de nouveau adoptée cette année, avec quelques modifications. Une source diplomatique a précisé à IciBeyrouth que les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur collaborent ensemble en vue de l’émission bientôt d’un décret qui permettrait de renouveler les passeports périmés pour une durée limitée et pour un coût symbolique. D’autres sources précisent que la durée serait d’un mois, et le coût 5 dollars.

Les sources diplomatiques soulignent que les législatives auront lieu aux dates prévues, au Liban et à l’étranger, et que tous les obstacles qui sont signalés par les autorités compétentes le sont en fait pour être résolus et non pour empêcher la tenue des élections. Elles précisent que les obstacles financiers ont en principe été levés, et que les autres difficultés sont en voie d’être réglées.

Wissam Yafi et les 225 623 autres Libanais autorisés à voter à l’étranger se réjouiront si tel est vraiment le cas, et s’ils peuvent enfin arriver au bout du parcours et exercer leur droit civique auquel ils tiennent tant.