Le récent arrêt de la Chambre d’appel, qui condamne deux membres du Hezbollah dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri,  "répare" le verdict de la Chambre de première instance et lie la formation pro-iranienne à l’assassinat de Hariri.

Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) s’attend à mener à terme d’ici juillet 2022 la procédure relative à l’affaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri le 14 février 2005. "Le tribunal est actuellement en discussion avec les parties prenantes concernées avant de définir l’avenir de l’institution une fois cette procédure achevée", affirme à Ici Beyrouth la porte-parole du TSL, Wajed Ramadan. La procédure encore prévue consiste principalement en la détermination de la peine contre deux accusés dont la Chambre d’appel vient d’annuler l’acquittement en première instance. Au total, dans le procès Hariri, trois des cinq accusés, membres présumés du Hezbollah, ont été jugés coupables.

La cause directe de la fin des travaux du TSL est l’épuisement des fonds. Le budget annuel du tribunal "à caractère international", créé sur base d’une résolution du Conseil de sécurité en 2007, est couvert à raison de 51% par les contributions des pays donateurs, et 49% par le Liban.

Dans une tentative de remédier aux difficultés financières, l’ONU avait accordé, dès mars 2021, une subvention de 15,5 millions de dollars, soit 75% de la contribution libanaise, mais d’autres contributions, pourtant annoncées, n’avaient "toujours pas été reçues", avait indiqué le TSL en juin 2021.

Premier appel à l’aide

La fermeture du TSL avait été augurée par l’ordonnance du 2 juin 2021 de la Chambre de première instance, en réponse à une écriture alarmiste du greffier, publiée la veille, sur la "grave situation financière" du tribunal.

L’ordonnance annulait le procès qui devait s’ouvrir deux semaines plus tard, le 16 juin 2021, dans une affaire incluant trois attentats connexes à l’attentat du 14 février 2005. Il s’agit des attentats perpétrés contre l’ancien ministre et député Marwan Hamadé, l’ancien chef du Parti communiste libanais, Georges Hawi et l’ancien ministre Elias El Murr, respectivement les 1er octobre 2004, 21 juin 2005 et 12 juillet 2005. L’ordonnance suspendait également "toutes les décisions qui devaient être rendues sur les requêtes pendantes devant elle, et sur toutes requêtes à venir, jusqu’à nouvel ordre".

Dans son écriture datée du 1er juin 2021, le greffier précisait que "l’épuisement imminent des fonds aura un impact sur la capacité du Tribunal de financer la poursuite des procédures judiciaires et d’achever son mandat, à moins qu’il ne reçoive de nouvelles contributions dans le courant de ce mois".

La grave crise financière que traverse le Liban rend difficile le versement de sa contribution annuelle, d’autant plus qu’il manque la volonté politique, interne et internationale, de maintenir les activités du tribunal, dans un contexte général de compromis avec le Hezbollah.

La réticence des donateurs internationaux à couvrir la part du Liban dans le budget du TSL a conduit à envisager des contributions privées, notamment, par exemple, de la part de familles beyrouthines attachées au maintien du tribunal en tant qu’instance indépendante susceptible de mettre fin, d’une manière inédite pour le pays, à l’impunité des assassinats politiques et attentats terroristes. Et de rendre justice au combat qui a coûté la vie à Rafic Hariri, leader sunnite assassiné au moment où il commençait à intégrer une dynamique nationale transcommunautaire d’opposition à l’autorité de tutelle syrienne et au système politico-sécuritaire libanais répressif qui la soutenait.

Arrêt "réparateur" de la Chambre d’appel

Mais le verdict de la Chambre de première instance du 18 août 2020 dans l’affaire Hariri, après un procès de près de sept ans, avait quelque peu déçu, même certains défenseurs du tribunal. D’abord parce qu’il n’a déclaré coupable qu’un seul des quatre accusés, Salim Jamil Ayyash. Ensuite parce qu’il n’a pas exploité dans leur intégralité les arguments fournis par l’accusation pour établir l’implication du Hezbollah et du régime syrien dans l’attentat du 14 février 2005, même si le statut du TSL, tel qu’approuvé par le Conseil de sécurité qui en a autorisé la création en 2007, ne permet d’engager en principe que la responsabilité des individus.

L’arrêt relativement rapide (le 10 mars) que vient d’émettre la Chambre d’appel du TSL, infirmant deux acquittements prononcés par la Chambre de première instance, aurait avant tout vocation à "réparer" le jugement de première instance. "L’arrêt justifié de la Chambre d’appel contraste avec la lenteur de la procédure de première instance et vient aussi réparer une très grave injustice, après une décision un peu surprenante", relève pour Ici Beyrouth l’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar qui avait participé à la mise en place du TSL.

"Association de malfaiteurs"

Réparation d’abord par l’élargissement du nombre de condamnés, de sorte à valider la thèse d’une association de malfaiteurs. Pour rappel, la Chambre de première instance n’avait condamné que Salim Jamil Ayyash, et acquitté Hassan Habib Merhi, Hussein Hassan Oneissi (acquittements invalidés) et Assad Hassan Sabra (ce dernier n’a pas été inclus dans le mémoire d’appel de l’accusation). La procédure engagée contre Mustafa Badreddine, elle, s’était éteinte après la reconnaissance de son décès par le tribunal.

"L’individualisation de Ayache avait affaibli l’impact du jugement de première instance", soulève pour Ici Beyrouth le professeur en droit et avocat Nasri Diab. Avec l’appel, "l’idée d’un acte isolé est désormais exclue, et on est quelque part dans une condamnation au-delà des personnes, une condamnation d’une association de malfaiteurs", dit-il.

Au titre des conclusions de l’appel citées par Wajed Ramadan, "les preuves des télécommunications ont démontré que dans l’après-midi du 14 février 2005, Oneissi et l’utilisateur de la ligne 018 du réseau Violet ont participé, sous les instructions de Merhi, à la diffusion de la fausse revendication de l’attaque". De plus, "il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que Merhi et Oneissi sont tous les deux sciemment et volontairement entrés en accord pour commettre l’acte terroriste dirigé nommément contre Hariri, tout en sachant que d’autres personnes risquaient elles aussi d’y périr", ajoute-t-elle.

Le réseau vert, un réseau du Hezbollah

L’autre dimension réparatrice réside dans la condamnation du Hezbollah, sur base de plusieurs faits. "La Chambre d’appel a établi que le réseau vert (l’un des réseaux de téléphonie mobile identifiés au titre des preuves circonstancielles, ndlr) était un réseau secret du Hezbollah qui avait pour principale mission de commanditer l’attaque, et que ses membres étaient Badreddine, Ayyash et Merhi", indique la porte-parole du TSL.

En outre, un chercheur proche de l’Accusation évoque pour Ici Beyrouth un deuxième élément de condamnation du Hezbollah. "La Chambre établit que l’ensemble de l’opération a été fait sous la direction de Moustafa Badreddine", dit-il.

Dans les détails, sur le site du TSL, il est indiqué que "la Chambre d’appel conclut (…) que la Chambre de première instance a commis une erreur de fait en ne concluant pas que Mustafa Badreddine était un chef militaire du Hezbollah en 2004 et 2005. La Chambre d’appel conclut également que la Chambre de première instance a commis une erreur de droit et de fait en considérant que les déclarations écrites d’un témoin non disponible, d’où il ressortait que le réseau vert était un réseau du Hezbollah, n’étaient pas corroborées".

Autant d’éléments qui font dire au chercheur susmentionné que "l’appel pointe indéniablement du doigt le Hezbollah et le lie à l’assassinat de Hariri d’une manière que la Chambre de première instance a manqué de faire".

 

Hamadé: "L’intérêt pour le TSL reviendra"

Le député démissionnaire Marwan Hamadé, victime d’une tentative d’assassinat, le 1er Octobre 2004, considérée comme connexe à l’attentat du 14 février 2005 et dont le procès devant le Tribunal spécial pour le Liban devait s’ouvrir en juin 2021 n’était le manque de financement du TSL, commente pour Ici Beyrouth la fermeture probable du tribunal international dans les prochains mois pour manque de financement.

"Le travail est en suspens, mais l’argent et l’intérêt reviendront, un jour ou l’autre", dit-il. Il est prévu que le TSL devienne une "entité dormante" comme cela a été le cas d’autres tribunaux internationaux, de manière à "préserver les archives, les preuves de tous les procès, les documents accumulés et garantir la protection des témoins et victimes", selon une source proche du tribunal.

Marwan Hamadé salue dans ce contexte l’arrêt récent de la Chambre d’appel, en date du 10 mars 2022, lequel a infirmé les acquittements de deux accusés et établi un lien explicite entre les condamnés et le Hezbollah.

"L’appel a permis d’enfoncer le clou en validant ce que l’acte d’accusation (dans l’affaire incluant la tentative d’assassinat de M. Hamadé, ndlr) avait décrit comme une association de malfaiteurs chargée d’assassiner les gens du 14 Mars", déclare-t-il.

Il dresse, du reste, un bilan satisfaisant du TSL dans l’instruction et la condamnation des responsables de l’attentat du 14 Février 2005. "Il y a ceux qui sont morts et qui étaient accusés, à savoir Imad Moghniyé et Moustafa Badreddine (cadres du Hezbollah tués en Syrie, ndlr), ceux qui n’ont pas été poursuivis (faute de pouvoir inculper le régime de Damas, mais dont les noms ont été retenus dans l’enquête, ndlr), Ghazi Kanaan, Roustom Ghazalé (les deux représentants successifs de Damas à Beyrouth), Assef Chawkat et Mohammad Sleiman, et ceux qui ont été poursuivis et condamnés mais qui ont disparu,  ceux-là mêmes que Hassan Nasrallah (secrétaire général du Hezbollah, ndlr) appelle ses saints (dans un discours de 2018 anticipant sur les audiences de clôture du TSL, ndlr)", affirme M. Hamadé.

Le TSL a jeté les bases d’un travail de mémoire et de justice, essentiel dans la lutte pour l’État de droit face à tout ce qui le mine, à commencer par les armes illégales du Hezbollah.