La détente notable, quoique partielle, observée au niveau des relations entre les pays du Golfe et la Syrie, n’est pas un fait anodin, compte-tenu de l’importance des indicateurs qui s’en dégagent et qui traduisent la nouvelle approche des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) par rapport à la situation au Moyen-Orient. Un autre élément qui confirme cette nouvelle approche est le début d’éclaircie au niveau des relations entre le Liban et les pays du Golfe, après des mois de crise et de tensions.

Les Arabes misent essentiellement sur leur capacité à ramener la Syrie dans leur giron en l’arrachant à son alliance historique avec Téhéran, scellée en 1979 par le président syrien, Hafez el-Assad, quelques mois après la victoire de la révolution islamique en Iran. A l’époque, cette alliance avait permis à Hafez el-Assad de régler une partie de son perpétuel conflit idéologique et politique avec le Baas irakien, représenté par Saddam Hussein, en se rangeant aux côtés de l’Iran face à l’Irak. Elle devait aussi montrer à quel point les slogans unionistes arabes brandis par la Syrie des décennies durant étaient vides de sens et destinés à la consommation politique interne.

Bachar el-Assad, qui a maintenu cette alliance après le décès de son père, est vite devenu l’otage de Téhéran et de ses mandataires dans la région, en raison de multiples facteurs.

Non seulement il a échoué à maintenir ce délicat équilibre entre son alliance avec Téhéran et ses relations avec les pays arabes, mais il s’est complètement jeté dans les bras du régime iranien, alors que son père s’efforçait constamment de conserver des relations acceptables avec le Caire et Riyad, en dépit des tensions permanentes qui ponctuaient ses relations avec Bagdad. Hafez el-Assad avait compris, contrairement à son fils, qu’une alliance avec l’Iran ne devait pas l’empêcher de maintenir cet équilibre, pour éviter de devenir un État satellite de l’Iran qui dispose de son agenda, ses objectifs et ses projets, tous en contradiction totale avec la position arabe historique de la Syrie.

Le deuxième facteur qui a joué en défaveur de Bachar el-Assad se rapporte à sa gestion de la situation née avec la révolution syrienne. En effet, il aurait pu répondre aux revendications populaires justifiées et instaurer un changement progressif et profond qui aurait permis à son pays de faire un bond vers la modernité. Au lieu de cela, il a choisi de couvrir les officiers qui torturaient des enfants à Deraa et d’entraîner la révolution vers son terrain de jeu de prédilection, à savoir le jeu sécuritaire. En réaction, celle-ci s’est militarisée et la Syrie est rapidement devenue un terrain perméable à toutes sortes d’interventions et de règlements de comptes, à partir du moment où les intérêts de forces régionales et internationales s’y sont entrechoqués. En dix ans de guerre, des milices armées et des armées américaines, russes, turques et iraniennes ont renforcé leur présence sur son territoire.

Le régime syrien, réputé pour sa puissance et seul maître à bord, est aujourd’hui un des nombreux acteurs en Syrie, et peut-être même le plus faible d’entre eux, à cause de ses politiques passées et plus particulièrement de sa dépendance totale de l’Iran.

Par conséquent, un désengagement de Damas par rapport à l’Iran ne peut que buter sur de nombreux obstacles. Même si Bachar el-Assad décide de s’engager dans cette voie, il est fort probable qu’il ne pourra pas le faire, compte-tenu de la puissance de la présence iranienne dans son pays. L’Iran et ses milices ont renforcé leurs assises à tous les niveaux de la société syrienne, et pas seulement sur le plan militaire, ce qui se répercute sur l’identité arabe de la Syrie. Un scénario similaire se déroule au Liban où une culture différente a émergé avec la montée en puissance du Hezbollah.

Il s’agit en fait du résultat direct d’une politique d’exportation de la révolution, maquillée toutefois différemment. En d’autres termes, le contrôle de l’Iran ne s’opère pas directement, mais par le biais d’alliés locaux qui restent pleinement prêts à mettre en œuvre "l’agenda de la révolution".

Partant, Damas bénéficiera, dans le meilleur des cas, d’une normalisation avec les pays pour alimenter sa propagande, par le biais de discours autour de la victoire du régime, sa survie, sa résilience et son retour progressif dans la sphère arabe. Certes le régime est toujours en place, mais la Syrie est détruite et des millions de Syriens ont été déplacés. Toute la rhétorique politique syrienne ne rendra pas possible un désengagement du régime vis-à-vis de ses parrains régionaux et un rétablissement de l’indépendance syrienne.

Reste le chef d’orchestre russe qui, à son tour, est un acteur clé en Syrie, même s’il se trouve désormais absorbé par sa guerre contre l’Ukraine… Et là aussi, si cette guerre dure, le régime d’Assad l’exploitera pour réaliser quelques gains par ci par là, profitant de la confusion russe qui pourrait s’amplifier si Moscou n’arrive pas à atteindre ses objectifs.