Des images diffusées à la télévision russe lundi montre une salle du Kremlin qui a dû échapper aux travaux de réfection lancés par l’ex-président Boris Eltsine en 1991, la présence de tous les canons de la décoration soviétique en témoigne.

Le système audio façon années 70′, avec ses boutons en couleurs transparentes, muni de montres à cadrans, le socle d’interrupteur en une espèce de bakélite jaunie par l’âge, les colonnes de marbre noir en bas-relief surmontées de chapiteaux dorés, du faux parquet à bords noirs et… les deux stars du moment: Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, la mine plus sombre qu’un matin d’hiver au bord de la Volga, distanciés socialement de quelques mètres, Covid-19 oblige.

La scène rappelle les réunions du président russe avec ses homologues français ou hongrois sauf que celle-ci, loin des fioritures, est réservée aux hauts fonctionnaires du Kremlin.

" Il y a toujours une chance ", déclare le chef de la diplomatie russe, répondant à une question du camarade président. " Nos possibilités sont loin d’être épuisées ", poursuit Lavrov jugeant même certaines des propositions américaines "constructives ". Le ministre propose même de " prolonger et d’élargir " le dialogue. " Bien ", lui réplique laconiquement le président. Coupez.

Le message est on ne peut plus clair, le Kremlin penche vers un règlement diplomatique de la crise avec l’Occident ou fait semblant de l’être. A quelques heures d’avions de là, l’ambassadeur russe auprès de l’UE, Vladimir Tchijov, affirme que son pays " n’envahira pas l’Ukraine sauf si on nous provoque ". Un peu plus tôt, le ministre russe de la Défense a également annoncé la fin de certaines manœuvres militaires, alors que les exercices aux frontières russo-ukrainiennes et au Bélarus nourrissent les craintes d’une escalade. " Des exercices ont lieu, une partie est terminée, une autre partie est en train de se terminer. D’autres se font encore étant donné (leur) taille ", a dit Sergueï Choïgou à M. Poutine. En somme, des remarques bien moins offensives que celles qui ont émané de Moscou ces dernières semaines.

Les Occidentaux aussi ont pour leur part évoqué une chance d’issue diplomatique pour écarter le risque d’une guerre en Ukraine, les Etats-Unis estimant que Vladimir Poutine n’avait pas pris sa " décision finale " sur le déclenchement d’une invasion. " Il reste une opportunité cruciale pour la diplomatie ", ont souligné le Premier ministre britannique Boris Johnson et le président américain Joe Biden qui se sont entretenus lundi par téléphone. Il n’y a " pas d’alternative à la diplomatie ", a de son côté insisté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Mais dans un contexte de tensions accrues, Washington a toutefois tempéré cet espoir en affirmant que Moscou avait encore renforcé pendant le week-end ses capacités militaires aux frontières de l’Ukraine, où plus de 130000 soldats sont massés depuis des semaines. " Une action militaire pourrait intervenir n’importe quand ", a dit le porte-parole du Pentagone, John Kirby. Son homologue au département d’Etat, Ned Price, a lui souligné que les Etats-Unis ne constataient " aucun signe concret de désescalade " à la frontière russo-ukrainienne. Face à l' "accélération spectaculaire " du déploiement de forces russes, les Etats-Unis ont décidé de déplacer leur ambassade en Ukraine de Kiev à Lviv, dans l’ouest du pays.

Des médias ont évoqué la date de mercredi comme jour potentiel d’une invasion russe. Une hypothèse qu’a semblé balayer le président ukrainien Volodymyr Zelensky, avec une dose de sarcasme. " On nous dit que le 16 février sera le jour de l’attaque. Nous allons en faire une journée de l’unité ", a déclaré le chef de l’Etat dans une adresse à la nation, appelant les Ukrainiens à accrocher le drapeau national bleu et jaune ce jour-là.

Ces déclarations interviennent alors que le chancelier allemand Olaf Scholz est à Kiev, avant un déplacement à Moscou mardi. M. Scholz a exhorté la Russie à saisir les " offres de dialogue " pour désamorcer la crise. Mais il a mis en garde la Russie qu’en cas d’attaque " nous prendrons des mesures de grande envergure qui auront des répercussions importantes sur les possibilités d’évolution économique de la Russie ". " C’est ce que je soulignerai demain à Moscou ".

Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a estimé que " tous les éléments " étaient réunis pour une offensive militaire " forte " de la Russie. " Rien n’indique aujourd’hui " que le président Poutine ait pris une décision, a-t-il ajouté.

La Russie, qui a déjà annexé la Crimée en 2014 et soutient des séparatistes prorusses dans l’Est de l’Ukraine, a constamment nié toute intention agressive. Elle se dit à l’inverse menacée par l’expansion des moyens de l’Otan en Europe de l’Est et réclame des " garanties de sécurité ", notamment l’assurance que l’Ukraine n’adhérera jamais à l’Otan. Les Occidentaux ont jugé les demandes russes inacceptables, mais ont proposé un dialogue accru sur d’autres sujets, comme la limitation des armements.

Au risque d’irriter le Kremlin, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a réitéré lundi que Kiev voulait rejoindre l’Otan afin de " garantir sa sécurité ".

Avec AFP