Après avoir abondamment diffusé infox et rumeurs sur le Covid, de nombreuses figures de la complosphère antivax jettent désormais leur dévolu sur l’invasion russe en Ukraine, devenant ainsi des relais actifs de la propagande du Kremlin et de sa guerre informationnelle.

Silvano Trotta en France, Sherri Tenpenny aux États-Unis, Mila Aleckovic en Serbie, Simeon Boikov en Australie… Sur les comptes Facebook, Twitter ou boucles Telegram de ces complotistes les plus en vue, le changement est perceptible dès le début de l’offensive russe le 24 février.

On y retrouve des " narratifs " complotistes bien connus : l’Ukraine serait la " base arrière d’un réseau de pédophilie international " et accueillerait des " laboratoires secrets américains " préparant un nouveau Covid dans le cadre d’un " nouvel ordre mondial ". Quant au conflit, il aurait été " fabriqué " pour détourner l’attention ou encore pour permettre la réélection d’Emmanuel Macron.

Une partie de la " complosphère covido-sceptique a clairement basculé sur la séquence ukrainienne ", confirme Tristan Mendès-France, spécialiste français du conspirationnisme. " Ce n’est pas une surprise : cette complosphère est une coquille vide qui s’agrège autour de l’actualité du moment ".

Sur les réseaux sociaux, les antiennes conspirationnistes liées au Covid se déclinent désormais selon une partition russo-ukrainienne. Les cibles, elles non plus, n’ont pas changé, à l’image de Bill Gates ou George Soros, objets de nombreuses infox démontées ces dernières années par les fact-checkeurs de l’AFP.

Hier accusés d’avoir planifié la pandémie, les deux milliardaires américains se voient aujourd’hui imputer le financement d’usines d’armes biologiques en Ukraine. Ou encore d’avoir programmé la guerre pour détourner l’attention et avoir les mains libres pour fabriquer un nouveau virus. La Russie ne serait intervenue que pour enrayer ce scénario…

Opportunisme

On retrouve dans ce récit la propagande du Kremlin présentant l’attaque de l’Ukraine comme un sauvetage des populations russophones et un rempart contre un prétendu régime " nazi ".

" Un certain nombre de figures anti-vax ", dont certains se sont faits un nom grâce à la pandémie, tentent " d’exploiter l’attention mondiale portée à l’invasion de l’Ukraine ", décrypte Imran Ahmed, directeur général du Center for Countering Digital Hate, évoquant des " opportunistes ".

Alors qu’il était inconnu avant le Covid, c’est aujourd’hui à plusieurs dizaines de milliers d’abonnés sur Facebook, sur Telegram et VKontakte (le Facebook russe) que Silvano Trotta relaie ses théories autour d’une " fausse crise ukrainienne ".

De l’autre côté de l’Atlantique, Sherri Tenpenny, une ostéopathe américaine qui a multiplié les infox sur le Covid, laisse quant à elle entendre à ses quelque 160.000 abonnés Telegram que les juifs sont derrière le conflit en Ukraine, guerre qui aurait été déclenchée avant tout pour détourner l’attention d’autres événements liés aux pandémies.

Infusion

Ravivés par le conflit en Ukraine, les accents pro-russes de la désinformation ne sont pas nouveaux – ils étaient déjà perceptibles dans la désinformation sur le Covid – et Moscou est considéré comme l’un des maîtres de la désinformation via les réseaux sociaux.

En mai 2021, quand des influenceurs sont contactés par une mystérieuse agence de communication pour dénigrer les vaccins occidentaux, c’est donc sans surprise que tous les yeux se tournent vers la Russie, même si Moscou nie en bloc.

Impossible pour autant de savoir si la bascule des antivax vers un discours pro-russe explicite a été directement téléguidée et par qui, la Russie n’étant de loin pas la seule puissance à agir dans ce domaine et à y avancer ses pions.

Ce qui est toutefois sûr, c’est que cette désinformation – qu’elle porte sur le Covid ou l’Ukraine – " attise les insatisfactions des populations " des démocraties occidentales pour les déstabiliser et sert donc de fait les intérêts de Moscou, souligne Julien Nocetti, spécialiste de la guerre de l’information russe à l’Ifri.

Moscou a su exploiter les comptes covido-sceptiques et antivax permettant " une forme d’infusion de ces idées, de ces narratifs ", poursuit le chercheur, qui y voit une " une forme d’enracinement ".

" Notre tort en Europe et aux États-Unis ces dernières années ", c’est d’avoir " analysé les cas de désinformation russe au travers de contexte de crise très précis " alors qu’il s’agit d’une " vision beaucoup plus stratégique de la part du Kremlin " et de " long terme ".

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