Influenceurs sur TikTok, relais médiatiques et accusations de mise en scène relayées tous azimuts. En lançant son offensive contre l’Ukraine, la Russie a également ouvert un nouveau front dans sa guerre de l’information. Pour l’heure, les résultats de ces campagnes se font encore attendre hors des sphères russes.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, un rideau de fer médiatique s’est abattu sur la Russie. Des dizaines de médias russes et internationaux ont interrompu leur travail. Promulguée le 5 mars, la nouvelle loi prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans de détention, pour la propagation d’informations qui "discréditent" l’armée russe. La population est désormais coupée des réseaux sociaux Instragram et Facebook. Sur la messagerie cryptée Telegram, des messages de propagande s’échangent entre utilisateurs russes, victimes malgré eux de la propagande du Kremlin qui dispose désormais d’un boulevard  pour se répandre. "Depuis plusieurs années, la population est soumise à une forte propagande", analyse le sociologue Lev Gudkov pour Euronews. "Il n’y pas d’autres sources d’information que la télévision, les gens croient donc que les dirigeants russes ont fait ce qu’il fallait. Ceux qui sont plus informés et qui reçoivent des informations de diverses sources, eux, sont dans l’horreur, la honte, la dépression." Ici Beyrouth a pu consulter certains de ces messages échangés entre utilisateurs russes sur un groupe Telegram émanant du ministère des Affaires étrangères. Selon eux, la situation actuelle résulte de l’influence de néo-nazis russophobes. Le message ci-dessous renvoie à une vidéo de BesogonTV, une chaîne YouTube complotiste possédant un million d’abonnés. Le ministère s’appuie également sur un faux site de vérification de l’information intitulé War on Fakes, comme le montre le tweet publié ci-dessous.

La messagerie Telegram est utilisée pour diffuser la propagande russe.

D’autres messages expliquent que la Russie a lancé une "guerre préventive contre les plans de guerre nucléaire de l’OTAN" envers la Russie, et qu’une "guerre d’extermination des russophones dans le Donbass" était dans "les plans des néonazis". Visionnée près d’un million de fois, une vidéo du politologue américain John Maersheimer est également partagée en masse sur ces groupes, comme une preuve irréfutable des intentions hostiles de l’Occident, utilisant l’Ukraine comme "plateforme" pour nuire à Moscou, selon Maersheimer. Enfin, la vidéo d’un happening a été détournée par la Russie, qui la présente comme une preuve de la "mise en scène" des morts ukrainiens. En réalité, il s’agit d’une action d’activistes engagés pour le climat, Friday For Future. L’action s’est déroulée à Vienne, trois semaines avant l’invasion russe. La vidéo montre le reporter Marvin Bergauer couvrir l’événement lorsqu’un participant emballé dans un sac mortuaire commence à bouger.

 

Lors du bombardement sur une maternité de Marioupol, le 9 mars dernier, et dont les images ont fait le tour du monde, la Russie avait nié en blocs la réalité des faits. La propagande russe s’était immédiatement enclenchée. L’ambassade de Russie en France avait publié un communiqué reprenant la stratégie de l’épouvantail utilisée par le régime syrien lors du siège d’Alep : mercenaires extrémistes néo-nazis cachés dans la maternité, jeu d’actrice et mise en scène volontaire pour déclencher des réactions hostiles envers la Russie. Cette version des faits n’avait guère convaincu les opinions publiques occidentales désormais informées de ces tentatives. Le travail des fact-checkeurs a permis de contredire la version russe. Les médecins de Marioupol ont annoncé ce 14 mars les décès de cette mère et de son enfant.

Nazis, Juifs et milliardaires

D’autres fausses informations sont partagées par des personnalités bien connues des milieux complotistes, comme la britannique Vanessa Beeley, qui relaie quotidiennement de la propagande pro-russe sur Twitter. Celle-ci accusait déjà à l’époque les Casques Blancs syriens d’être des acteurs payés alors que le régime de Bachar Al-Assad bombardait sa population aux armes chimiques. Cette fois, selon Beeley, le gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky serait lié aux néo-nazis, financé par des oligarques milliardaires et aidé par des mercenaires du Mossad israélien. Ces affirmations farfelues trouvent néanmoins un écho certain auprès de ses 67,000 followers sur Twitter. Si le régiment Azov composé de néonazis existe bel et bien en Ukraine, il est pointé du doigt par Moscou comme étant la source de tous les maux actuels. Son poids réel au sein de la société ukrainienne est cependant à relativiser, alors que Vladimir Poutine a parlé "d’opération de dénazification" comme prétexte pour envahir l’Ukraine.

Désinformation russe sur Tik Tok

Si la guerre en Ukraine est largement documentée, une partie de la population ne s’informe presque qu’exclusivement que via les réseaux sociaux. Notamment via l’application chinoise TikTok, qui draine un public plus jeune que YouTube ou Facebook, très utilisée aux Etats-Unis et en Europe occidentale. "TikTok joue un rôle vital, parce que c’est là que la majorité de la jeune génération s’informe", selon Chris Dier, professeur d’histoire dans un lycée de la Nouvelle-Orléans et lui-même TikTokeur. La Maison Blanche a d’ailleurs communiqué, cette semaine, à 30 TikTokeurs majeurs "les dernières informations venant d’une source qui fait autorité", a expliqué au Washington Post son directeur de la stratégie numérique, Rob Flaherty.

Le compte le plus populaire est celui de l’agence russe RIA Novosti, qui relaie régulièrement des accusations sans preuve, comme celles faisant état de laboratoires secrets d’armes biologiques en Ukraine financés par les Etats-Unis. Dans le même temps, TikTok indique avoir dédié "des moyens renforcés" pour "détecter des menaces émergentes " sur la plateforme et "retirer de la désinformation préjudiciable". Aujourd’hui, le flux des messages pro-russes s’est nettement réduit, même si des vidéos accusent encore les médias occidentaux d’utiliser des images d’archives, ou les Etats-Unis de mentir sur la nature exacte du conflit.

Plus subtiles, des vidéos d’influenceurs russes présentées comme spontanées font en réalité partie d’une campagne de communication orchestrée, selon l’enquête de Media Matter. Près de 180 comptes aux messages identiques reprenant le slogan " Russia Lives Matter " ont été identifiés. Ces influenceurs russes qui postaient auparavant des vidéos apolitiques sont aujourd’hui pleinement engagés dans le narratif pro-guerre de la Russie. Certains médias suggèrent que ceux-ci sont instrumentalisés par le régime Poutine. Pour l’heure, cette désinformation russe ne semble pas avoir eu les effets escomptés, selon un récent sondage réalisé en France, en Allemagne, en Italie et en Pologne. Près de 84% des personnes interrogées ont une bonne opinion de l’Ukraine tandis qu’elles ne sont que 16% à avoir une bonne opinion de la Russie.

Avec AFP

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