Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a resserré jeudi son étau sur la Russie en approuvant à une écrasante majorité la création d’une enquête sur les atrocités reprochées aux troupes d’occupation russes.

Au même moment, des représentants de l’ONU à New York ont réclamé l’arrêt des bombardements d’écoles en Ukraine en dénonçant par ailleurs leur utilisation à des fins militaires.

A Genève, le Conseil des droits de l’Homme a adopté une résolution visant la Russie lors d’une session extraordinaire par 33 votes pour, 2 contre (Chine et Erythrée) et 12 absentions (dont l’Inde, le Sénégal et le Cameroun).

Elle demande à la commission internationale de mener une " enquête " sur les graves violations des droits humains commises par les forces russes dans les régions de Kiev, Tcherniguiv, Kharkiv et Soumy à la fin de février et en mars 2022, " en vue de demander des comptes aux responsables ".

A l’issue d’une première réunion le 4 mars, Kiev était parvenue à faire adopter une résolution décidant de créer d’urgence une commission d’enquête internationale indépendante sur la situation en Ukraine depuis l’invasion du 24 février.

La salle de conférence de l’Office des Nations unies à Genève lors de la session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la guerre en Ukraine jeudi. (AFP)
La révélation du massacre de Boutcha

Depuis, la diffusion dans les médias internationaux de photos prises à Boutcha et montrant des corps dans la rue, certains les mains liées dans le dos ou partiellement brûlés, ainsi que des fosses communes, ont provoqué une vague de condamnation internationale.

D’autres atrocités ont été révélées ailleurs dans le pays, poussant l’Ukraine à réclamer " un pas de plus " du Conseil.

La résolution adoptée jeudi demande également à Moscou de faire sorte que les organisations internationales, dont celles de l’ONU, puissent " accéder immédiatement et sans entrave aux personnes qui ont été transférées de régions ukrainiennes touchées par le conflit et sont détenues " en Russie ou dans des territoires contrôlées par ses forces.

Une centaine de personnes ont manifesté jeudi devant l’Office des Nations unies à Genève lors d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la guerre en Ukraine. Kiev a dénoncé ce qu’elle appelle " la liste interminable " des exactions commises par la Russie alors que le Conseil tenait une session extraordinaire sur l’Ukraine. (AFP)

 

Une " liste interminable " des exactions

Le texte appelle par ailleurs la Haute Commissaire aux droits de l’Homme Michelle Bachelet à faire le point – lors de la 50e session du Conseil (du 13 juin au 8 juillet) – sur la situation à Marioupol, désormais presque entièrement sous contrôle des forces russes.

Avant le vote, l’Ukraine et ses alliés ont dénoncé pendant de longues heures " la liste interminable " des exactions commises par la Russie, qui a boycotté les débats.

" Torture et disparitions forcées, violences sexuelles et de genre, la liste des crimes russes est interminable ", a déclaré la Première vice-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, Emine Dzhaparova, dans une allocution vidéo.

 

" L’agression russe s’accompagne, chaque jour, de découvertes toujours plus macabres et insoutenables ", a affirmé pour sa part l’ambassadeur français Jérôme Bonnafont.

Cette résolution " a pour but d’amener tous les responsables de ces atrocités à rendre des comptes ", a-t-il expliqué avant le vote, assurant que " la communauté internationale ne peut pas rester silencieuse ".

Mme Bachelet a déclaré que son bureau continuait de vérifier les allégations d’exactions, " dont beaucoup peuvent relever de crimes de guerre " et a dénoncé les " horreurs inimaginables " subies par les habitants de Marioupol.

" L’ampleur des exécutions illégales, y compris les indices d’exécutions sommaires dans les zones situées au nord de Kiev, est choquante ", a-t-elle également dit, en précisant disposer pour l’instant d’informations sur 300 cas.

Parallèlement, des représentants de l’ONU à New York ont réclamé l’arrêt des bombardements d’écoles en Ukraine, tout en dénonçant leur utilisation à des fins militaires.

 

Moscou dénonce une " diabolisation occidentale "

Il s’agissait de la première réunion consacrée à la détérioration de la situation des droits de l’Homme en Ukraine depuis que l’Assemblée générale de l’ONU a suspendu Moscou début avril de la plus haute instance de l’organisation internationale en matière de droits humains.

La Russie peut participer aux travaux du Conseil en tant qu’observateur, mais a choisi la politique de la chaise vide jeudi et renoncé à son droit de réponse.

Pour ne pas laisser complètement le terrain à ses adversaires, l’ambassadeur russe auprès de l’ONU à Genève Guennadi Gatilov a publié un communiqué dénonçant " la diabolisation de la Russie par " l’Occident collectif " ", parlant d’une enquête à charge et dénonçant les dérives du Conseil devenu un forum " pour faire des coups politiques ".

Les forces russes accusées de crimes de guerre à Kharkiv

Jeudi également, les autorités ukrainiennes et des témoins interrogés par l’AFP ont accusé les militaires russes d’avoir tiré à partir d’un char sur une maison dans un village près de Kharkiv tuant plusieurs civils.

La chaîne de télévision américaine CNN a pour sa part diffusé le même jour ce qu’elle présente comme des images de vidéosurveillance montrant deux civils ukrainiens abattus dans le dos par des soldats russes.

La scène se déroule près d’un concessionnaire automobile le 17 mars, dans la banlieue de Kiev. Un groupe de cinq militaires fouille les deux hommes avant de les laisser partir. Lorsqu’ils s’en vont, deux soldats leur tirent dessus.

Selon la procureure générale ukrainienne, Iryna Venediktova, un premier militaire russe doit en outre être jugé prochainement pour avoir abattu un Ukrainien de 62 ans qui circulait, non armé, sur son vélo.

Le soldat, Vadim Chichimarine, 21 ans, se déplaçait avec quatre de ses camarades après l’attaque de leur convoi le 28 février, a-t-elle expliqué. Ils auraient volé une voiture dans la région de Soumy et Vadim Chichimarine aurait abattu le civil " afin qu’il ne les dénonce pas ".

Six millions de réfugiés ukrainiens

Sur un autre plan, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) a déclaré hier que plus de six millions d’Ukrainiens ont fui leur pays depuis le déclenchement de l’offensive de la Russie.

La Pologne accueille à elle seule plus de la moitié, 3,27 millions, des Ukrainiens partis à l’étranger depuis le 24 février, dont 90% sont des femmes et des enfants, a souligné le HCR à Genève. Il a relevé toutefois que le flot de ces départs s’est au fil du temps considérablement tari.

S’y ajoutent les quelque huit millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine qui, avant les hostilités, avait 37 millions d’habitants dans les régions sous le contrôle de son gouvernement.  La Crimée ayant été annexée en 2014 par la Russie et les zones de l’est étant contrôlées par des séparatistes prorusses.

 

Retour continu des réfugiés dans la région de Kiev

En gare de Kiev, les retours d’Ukrainiens partis à l’étranger se multiplient depuis le 9 mai, date à laquelle l’Ukraine redoutait une action militaire d’éclat de la Russie pour l’anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie.

Lorsqu’un train en provenance de Pologne entre en gare, des cris de joie retentissent.

" On s’habitue à la guerre, à la menace. Les craintes qu’on avait il y deux mois sont différentes de celles d’aujourd’hui ", explique sur un quai Dana Pervalska, 27 ans.

Tarissement de l’approvisionnement en gaz russe

Les tensions montaient aussi autour des questions énergétiques. L’Allemagne, l’un des principaux acheteurs européens de gaz russe, a vu son approvisionnement via l’Ukraine fondre de près de 40% en deux jours.

Le géant russe Gazprom avait confirmé mercredi que les volumes livrés à l’Europe en passant par le territoire ukrainien baisseraient de près de 30% ce jeudi, après 18% la veille.

La Russie et l’Ukraine s’en rejettent la responsabilité.

Kiev dit depuis mardi ne plus pouvoir garantir les livraisons via les installations de Sokhranivka, dans la région de Lougansk, en raison de la présence des forces armées russes. L’Ukraine ajoute qu’elle a demandé à Gazprom d’accroître les volumes fournis via un autre point de transit, celui de Soudja.

Mais Moscou assure que le transit peut parfaitement se faire à travers Sokhranivka et que réorienter le flot vers Soudja est impossible.

Si les baisses ont été compensées côté allemand par du gaz importé de Norvège et des Pays-Bas, Gazprom a semblé prêt à réduire davantage encore ses livraisons européennes. En effet, le géant russe de l’énergie a annoncé qu’il n’utiliserait plus un gazoduc clé passant par la Pologne, le Yamal-EuroPol.

Le ministre allemand de l’Energie Robert Habeck a accusé la Russie d’utiliser l’énergie " comme une arme ".

 

Réunions du G7 et de l’Otan

La question des sanctions et des perturbations dans les fournitures de gaz devrait être au menu de la visite du ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba en Allemagne. Kouleba doit participer vendredi et samedi à une réunion avec ses homologues du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis).

" L’Europe doit couper l’oxygène énergétique " à la Russie et " se débarrasser de sa dépendance du gaz russe ", a lancé jeudi M. Kouleba.

Les 27 Etats de l’UE s’efforcent de réduire leur dépendance aux hydrocarbures russes depuis le début du conflit. Cependant, ils n’ont pas réussi pour l’instant à s’entendre concernant un arrêt progressif des achats de pétrole russe.

Le président Vladimir Poutine a quant à lui jugé jeudi que les sanctions économiques imposées par les Occidentaux à la Russie affectaient plus l’Europe que son pays.

Les ministres des Affaires étrangères des pays de l’Otan se réuniront aussi vendredi et samedi pour discuter de leur soutien militaire à l’Ukraine et peut-être également à la Moldavie.

La Russie est en effet soupçonnée de vouloir faire avancer ses troupes jusqu’à la Transdniestrie, une région séparatiste prorusse sur le territoire moldave.

 

" Dénoncés par les prorusses "

Jeudi, l’armée russe continuait son offensive dans le Donbass, où elle ne progresse que lentement et essaie notamment de prendre " le contrôle total " des localités de Roubijné et de Severodonetsk, a noté la présidence ukrainienne.

Les habitants de la région ayant refusé d’évacuer sont souvent favorables à Moscou.  " Ils donnent aux Russes nos coordonnées, c’est certain ", a raconté à l’AFP un soldat dont le nom de guerre est " Zastava " rencontré sur la ligne de front à Novomykolaïvka.

 

Avec AFP

 

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