Le lundi 27 février, Renaud Capuçon, Violaine Despeyroux et le Trio Zeliha ont emmené le public libanais dans une passionnante (re)découverte d’œuvres autrichiennes de Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart, Gustav Mahler et Erich Wolfgang Korngold, qui défie tous les superlatifs.

Avec un mélange raffiné d’éloquence discursive, de complicité chambriste, de virtuosité communicative et de sensibilité à fleur de peau, qui sied merveilleusement au programme kaléidoscopique de cette soirée, le violoniste français Renaud Capuçon, l’altiste française Violaine Despeyroux ainsi que le Trio Zeliha se sont donné, le lundi 27 février, et pour une seconde soirée consécutive, la réplique durant le cinquième concert de la 29e saison musicale du Festival al-Bustan. Tout au long de cette soirée, les lignes mélodiques de l’ensemble se sont corsées, mettant en exergue l’élégance des échanges instrumentaux qui ont revêtu un caractère particulièrement exalté. Au gré d’une finesse d’expression et d’une précision rythmique incontestables, les cinq musiciens ont emporté le public libanais dans les méandres de la musique classique du XVIIIe siècle avec Joseph Haydn (1732-1809) et Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), la musique postromantique du XIXe siècle avec Gustav Mahler (1860-1911), et la musique moderne du XXe siècle avec Erich Wolfgang Korngold (1897-1957). Ce concert aux couleurs diaprées aurait-il ainsi révélé la quintessence même des œuvres interprétées? Cela semble bien être le cas.

Discours épanoui

Il est 20h pile. L’amphithéâtre Émile Bustani est presque comble et tous les regards sont tournés vers les jeunes musiciens, baignés d’une lumière resplendissante. C’est avec le Trio pour piano no.45 en mi bémol majeur, Hob.XV.29, de Joseph Haydn, que le Trio Zeliha, auréolé de prestigieux prix, entre en scène. La pièce commence par un accord introductif de mi bémol majeur, joué en tutti, suivi d’un motif de quatre notes omniprésent tout au long du premier mouvement, Poco allegro. Le pianiste Jorge Gonzalez Buajasan subjugue par son agilité pianistique, imposant un rythme pointé, velouté et répété, durant la première partie de l’œuvre. La violoniste Manon Galy et le violoncelliste Maxime Quennesson tissent avec le pianiste cubain un discours épanoui d’une élégance louable. Si le violoncelle tache de doubler la ligne de basse du piano, soulignant de ce fait les modulations harmoniques, tout en conservant la fluidité du discours musical, le violon s’applique à rivaliser avec le piano en déployant une palette nuancée d’impressions musicales. Après un deuxième mouvement, Andantino ed innocentemente, subtile mais peu captivant, le trio défend une lecture fougueuse du troisième et dernier mouvement, Allemande, un ländler, avec de brillants effets de surenchère. Les musiciens parviennent ingénieusement à faire preuve de dextérité même dans les passages les plus véloces.

Éloquence confondante

La deuxième partie du concert est consacrée au Duo pour violon et alto no.1 en sol majeur, K.423 de Wolfgang Amadeus Mozart, interprété par Renaud Capuçon et Violaine Despeyroux. Dès les premières notes de l’Allegro, on est impressionné par la limpidité de la sonorité, la pureté de l’intonation, et l’éloquence confondante des deux interprètes, mettant clairement en relief leur maîtrise du style classique. On regrettera en revanche une dominance quelque peu accentuée du violon qui étouffe, à plusieurs reprises, le discours musical de l’alto. Toutefois, on retiendra particulièrement de cette prestation, le troisième mouvement, Rondeau, qui instaure une atmosphère festive aux effusions sautillantes: le duo ponctue son discours par un vibrato généreux et exacerbe certains contrastes de nuances prononcées. Ensuite, le concert se poursuit avec le Quatuor pour piano et cordes en la mineur de Gustav Mahler. Les musiciens font merveille tant dans la qualité de leurs échanges que dans la netteté de leurs attaques qui soulignent les accents dramatiques du chef-d’œuvre mahlérien. Si la pièce commence par des triolets de tierces mineures au piano, dénotant un début calme et inquiétant, l’intensité dramatique augmente progressivement et la texture du quatuor se fait de plus en plus maussade, nourrie par un vibrato poignant. Le quatuor parvient ainsi à peindre de magnifiques espaces sonores sombres qui font toute la beauté de cette interprétation. Certaines intonations demeurent perfectibles mais cela n’enlève rien à l’irréprochable clarté de ce monument musical.

Modernisme peu affirmé

Suite à un entracte de vingt minutes, Renaud Capuçon et le Trio Zeliha s’attaquent à la Suite pour deux violons, violoncelle et piano pour la main gauche, op.23, d’Erich Wolfgang Korngold, une pièce de cinq mouvements aux couleurs classiques et romantiques mais à la complexité rythmique indéniablement moderne. Le premier mouvement, Prélude et Fugue, commence par une cadence dramatique pour piano: Jorge Gonzalez Buajasan fait preuve d’une verve captivante dans la gestion des intensités sonores, d’une finesse d’articulation et d’une incrustation acharné dans le clavier. Une brève réplique fortissimo des cordes, jouée à l’unisson, conclut le prélude et ouvre aussitôt la voie à une fugue contrastée où l’auditoire est confronté à un fleuve de sonorités, marqué par de subtils glissandi, de fiévreux trilles, d’arpèges d’une grande fluidité, et d’un souffle inextinguible. La palette quasi-orchestrale de cet ensemble de musique de chambre est d’une richesse impressionnante, notamment dans le troisième mouvement, Grotesque, où la tension atteint son paroxysme avec un solo de violoncelle soutenu par un martèlement brutal sur le registre le plus grave du piano. Ce même mouvement donne à entendre un trio introspectif d’une intensité émotionnelle poignante qui fera d’ailleurs partie des moments forts de ce concert. Les deux derniers mouvements, Lied et Rondo, instillent un dialogue clair-obscur, marqué par des dynamiques paradoxales, et une écoute tissée de symbiose entre les interprètes, qui mènent à une conclusion triomphale grandiose. Une apothéose.

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