Le processus visant à débloquer l’élection présidentielle, gelée depuis de longues semaines, aurait débuté, même si la " destination finale " du train n’est pas encore connue.

Quatre mois après le début de la vacance présidentielle, l’élection d’un nouveau chef de l’État a-t-elle été remise sur les rails ? À en croire plusieurs sources parlementaires, le processus visant à débloquer cette échéance, gelée depuis de longues semaines, a débuté, même si la " destination finale " du train n’est pas encore connue. L’un des facteurs qui accélérerait la solution serait le fait que les partis politiques ont réalisé la gravité de la situation socio-économique.

L’annonce par le président du Parlement, Nabih Berry, puis par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, de leur appui à la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, a provoqué de nombreuses réactions politiques. Dans son sillage, tous les regards se sont tournés vers l’Arabie saoudite, dont l’ambassadeur Walid Boukhari a entamé, par une rencontre avec le patriarche maronite Béchara Raï, une tournée auprès de plusieurs personnalités libanaises.

La position de Riyad par rapport à la présidentielle revêt une importance primordiale pour de nombreuses parties locales, ainsi que pour les acteurs régionaux et internationaux concernés par le Liban. Même si le royaume n’a pas explicitement exprimé son opposition à la candidature de Sleiman Frangié, et a préféré mettre en avant des critères qui l’encourageraient à recommencer à jouer un rôle actif au Liban, plusieurs " indices " portent à croire que l’ancien député de Zghorta ne satisfait pas ces critères, et constitue à ses yeux le candidat du camp du Hezbollah. C’est dans ce cadre que l’on peut situer le tweet écrit par M. Boukhari juste après le discours, lundi, de Hassan Nasrallah, qui, en s’inspirant de règles grammaticales arabes, appelait au remplacement d’un candidat par un autre. La " une " du quotidien saoudien "Okaz ", au lendemain de ce même discours, était également très significative. Non seulement une caricature superposait les visages du chef du Hezbollah et du leader des Marada, mais le titre était : " Candidature de Frangié : Le Liban se noie et le scénario du chaos se profile à l’horizon ", ajoutant : " appuyé par le duopole chiite, un chrétien rejeté par les chrétiens ".

" Équilibre négatif "

Maintenant que le Hezbollah et le mouvement Amal ont officialisé leur appui à M. Frangié, et que Riyad a exprimé son manque d’enthousiasme à son égard, quelles sont les positions des blocs politiques ?

De sources proches des Forces libanaises, on estime que l’on se trouve "dans une situation d’équilibre négatif, et un processus presque bloqué ". " Nous nous sommes retrouvés dans la situation actuelle car notre État ne peut pas contrôler sa politique étrangère ni sa décision de guerre ou de paix. Toute solution qui ne redonne pas à l’État sa souveraineté et la possibilité d’appliquer les réformes ne mènera nulle part ", précise-t-on de mêmes sources.

Elles jugent important que le candidat ait des positions claires sur tous les dossiers, notamment la souveraineté et les armes du Hezbollah, et ne soit pas impliqué dans la corruption. Elles rappellent dans ce cadre que tel est le cas du député Michel Moawad, appuyé par les blocs et candidats souverainistes tout au long des 11 séances électorales qui se sont déroulées jusqu’à présent.

Les sources FL indiquent qu’elles coordonnent leurs positions avec les blocs souverainistes, et démentent toute coordination au stade actuel avec le Courant patriotique libre, soulignant que ce dernier devrait publiquement reconnaître avoir porté atteinte à la souveraineté du Liban et clarifier sa position concernant la politique étrangère.

Le CPL cherche un candidat

Le son de cloche est différent du côté du CPL, qui fait état de " pourparlers directs et de canaux ouverts entre les députés aounistes et FL sur la présidentielle ". " En politique, tout est possible ", soulignent des sources proches de la formation orange, qui estiment qu’il y a une " convergence d’intérêts " entre les deux blocs.

Au lendemain du discours du chef du Hezbollah, le CPL semble avoir décidé de prendre au mot l’appel de Hassan Nasrallah au dialogue. " Nous allons œuvrer à trouver un candidat qui répond aux critères suivants : respecter notre feuille des priorités présidentielles, recueillir plus de 65 voix parlementaires et être consensuel afin d’obtenir l’aval de tous, notamment du Hezbollah, auquel il ne devrait pas être hostile ", explique-t-on de sources CPL. Elles ajoutent que le candidat devrait être " souverainiste et charismatique ", précisant ne pas avoir encore de noms qui satisfont ces critères.

Le bloc du Liban fort serait-il disposé à assurer le quorum d’une séance parlementaire visant à faire élire Sleiman Frangié ? Les sources CPL indiquent que le bloc n’a pas encore discuté de cette question. En attendant la convocation d’une séance électorale, celui-ci se consacre à la recherche d’un nom qui remplit les conditions énumérées.

Alors que des milieux proches de 8 Mars parient sur des différends au sein du bloc orange, qui aboutiraient au vote de plusieurs de ses députés pour M. Frangié, les sources précitées rejettent cette possibilité, et font état d’une cohésion sur cette question.

Quant à la proposition qui aurait été avancée par la France, et qui porte sur l’élection de M. Frangié en contrepartie de la désignation du juge Nawaf Salam au poste de Premier ministre, les sources CPL estiment qu’elle n’est pas bien étudiée car si le président est élu pour six ans, le Premier ministre n’a aucune garantie de rester à son poste pour une durée bien définie, à moins qu’il n’y ait un engagement formel et une feuille de route claire et précise.

Équilibre des candidatures

Plusieurs députés proches de la mouvance souverainiste estiment que l’annonce par MM. Berry et Nasrallah de la candidature du chef des Marada, avant même que ce dernier ne l’ait fait lui-même, lui a largement porté atteinte, le positionnant clairement comme étant le candidat du 8 Mars.

Ils soulignent dans ce cadre que les blocs et députés qui ont appuyé la candidature de Michel Moawad dès le départ, ont réussi à créer un " équilibre des candidatures ".

D’après eux, la page Frangié est désormais tournée, notamment après la position saoudienne claire en sa défaveur. Cela ouvre la porte à d’autres candidatures, surtout que le discours de Hassan Nasrallah a retiré au chef du CPL, Gebran Bassil, " le droit de véto sur le nom ", que le Hezbollah lui avait accordé auparavant. " Maintenant, nous commençons à discuter pour arriver au nom requis ", estiment ces députés, selon lesquels " le train a été mis sur les rails, mais nous ne savons pas combien de temps il prendra pour arriver à destination ".

L’appel au dialogue est également appuyé par le bloc du Rassemblement démocratique, qui estime que l’entente au niveau de la présidentielle est nécessaire. Le bloc, qui a longuement appuyé la candidature de Michel Moawad, avant que le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, n’avance celles du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, de l’ancien député Salah Honein, et du responsable du Moyen-Orient au sein du Fonds monétaire international, Jihad Azour, est attaché à l’élection d’un candidat souverainiste et réformiste qui puisse sauver le Liban.

De sources bien informées, on précise que le bloc du PSP ne pourrait en aucun cas appuyer un candidat qui ne bénéficie pas du soutien de l’Arabie saoudite. C’est également le cas du bloc de la Modération nationale (députés du Akkar et du Liban-Nord, en majorité sunnites et anciens haririens).

La position officielle du bloc de la Modération est claire : le candidat doit bénéficier d’un appui interne qui respecte le Pacte national, ainsi que d’une couverture arabe et surtout saoudienne. Officieusement, le bloc respecte la position saoudienne par rapport au chef des Marada. L’un des alliés du bloc, le député Nabil Badr, a d’ailleurs clairement annoncé le rejet de la candidature de Sleiman Frangié, le qualifiant de " candidat de défi ".

Entente sur plusieurs candidats ?

Dans le camp du 8 Mars, on souligne l’importance du dialogue, rappelant que M. Berry y avait déjà appelé deux fois. De sources proches du bloc du président du Parlement, on fait état de contacts en cours, ajoutant : " Nous n’avons pas dit que soit notre candidat est élu, soit aucun autre ne le sera. Nous avons appuyé la candidature de M. Frangié et attendons que les autres présentent leur candidat. À ce moment-là les choses seront plus claires. Cela ouvrira la porte au dialogue, et nous pourrons peut-être les convaincre. Nous savons que nous ne pouvons imposer personne ".

Et si les autres ne sont pas convaincus ? " À ce moment-là, nous verrons. Nous irons à la séance électorale avec une entente sur plusieurs candidats. Le vote déterminera le vainqueur ", relève la source proche du bloc Berry.

À ceux qui leur rappellent que les blocs souverainistes ont annoncé et appuyé, depuis le début du processus électoral, leur candidat, qui est le député Michel Moawad, les sources répondent qu’il n’est pas le candidat de toute l’opposition, et que certains blocs, tel celui du Changement, ne le soutiennent pas, alors que l’attitude d’autres blocs, notamment la Rencontre démocratique, montre qu’ils ne l’appuient plus.

Les milieux du 8 Mars, mettant l’accent sur la détérioration de la situation économique, laissent entendre que toutes les parties ne peuvent plus laisser traîner les choses. Certaines sources s’attendent même à ce que l’élection du président ait lieu d’ici quelques semaines, soulignant " qu’avec l’annonce de l’appui à la candidature de Sleiman Frangié, les portes de l’élection sont à présent grandes ouvertes ".