Qui sont les Français d’aujourd’hui? Pourquoi les formater alors qu’ils sont multiples? Dans son roman La discrétion, Faïza Guène se penche sur le sujet à travers le destin de Yamina, une Française septuagénaire discrète, épouse et mère, née à Msirda, en Algérie, domiciliée à Aubervilliers.

À l’aune des discours haineux, des conflits médiatisés et des prises de position extrémistes contradictoires qui divisent les opinions, parler d’identité s’avère plus que jamais un terrain miné.

Yamina quitte sa terre natale et son figuier à cause de conflits qui forcent la famille à un premier exil marqué par la faim et la souffrance, avant de se marier avec Brahim Taleb, à l’âge de trente ans, et de partir avec lui en France, départ qui constituera un second exil. Elle a avec lui quatre enfants: Hannah, Malika, Imane et Omar, l’enfant gâté qui n’a jamais eu besoin de souffler pour refroidir son lait chaud. Yamina se fond dans le paysage gris, fait grandir ses enfants en respectant la loi, conserve les traditions, bagage culturel inéluctable, cultive son petit carré de terre où elle fait pousser un figuier, réplique du figuier de son enfance, s’adapte discrètement à la vie en France, son nouveau pays, le pays de toujours de ses enfants qui les a vus naître et grandir. Accablée par son identité qu’elle porte en elle, Yamina communique inconsciemment ce fardeau de l’entre-deux à ses enfants chez qui gronde la colère de ne pouvoir appartenir à part entière à la France.

Pourtant, Yamina est sereine. Elle ne trouve pas nécessaire de s’imposer. Effacée et heureuse de l’être, reconnaissante pour toutes les grâces reçues, elle préfère que Hannah ne réplique pas lorsqu’on s’adresse à sa mère avec condescendance, Hannah qui enrage et pense que la discrétion des aînés est un poison mortel.

Qui devrait se considérer originaire d’un pays, et qui étranger? Combien de générations faut-il compter avant que les étrangers puissent se sentir appartenir au peuple de leur pays d’adoption? Pas un jour ne passe sans qu’il y ait un fait négatif qui vient remettre les compteurs à zéro dans l’avancement de l’acceptation de l’autre, cet inconnu.

Aller vers l’autre est plus que jamais nécessaire à l’heure où la sculpture de l’émir Abd el Kader à Amboise est vandalisée, à l’heure où Gims demande à ses fans de ne pas lui souhaiter bonne année ou bon anniversaire, à l’heure où la haine grandit et la distance prend de l’ampleur.

Le choix de Faïza Guène d’honorer les aînés et de s’interroger sur le métissage français est plus que justifié pour démystifier les tabous. C’est une déclaration d’amour à sa mère, aux mères de l’ombre, pilier de la société française d’aujourd’hui qu’on oublie d’honorer et qui méritent l’attention d’une tranche de la population dans le déni, qui préfère les exclure du paysage social plutôt que de faire l’effort de les considérer comme une partie intégrante du tissu social diversifié, fondement de la France d’aujourd’hui.

 

La discrétion 
Faïza Guène
Plon 2020, 252 p