L’Histoire foisonne d’épisodes durant lesquels une majorité souffrait sous le joug de l’oppression d’une minorité de sangsues. Et puis, n’est-ce pas une description correcte de la vie quotidienne? Qu’est-ce qu’un monarque ou un Parlement face à des millions de sujets? Comment expliquer cet asservissement acquiescé? C’est à ces questions qu’a répondu Étienne de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire, rédigé vers 1548, alors qu’il n’avait que 18 ans.

Le consentement comme piédestal de la tyrannie

Pour un texte écrit au milieu du XVIe siècle, c’est-à-dire alors que la monarchie était toujours à la mode, Le Discours de La Boétie ne manque pas de clarté et demeure pertinent en ces temps déroutants. Au tout début du Discours, La Boétie se demande comment tant d’hommes, tant de bourgs, tant de nations se soumettent à la volonté d’un seul imbécile. Ce n’est certainement pas la force physique de ce fripon qui effraie les sujets. Après tout, il est seul et souvent plus inoffensif qu’un lapin (et plus laid qu’un phacochère). La clef de la servitude doit alors être quelque chose d’immatériel, caché dans le for intérieur des sujets.

L’idée derrière l’œuvre est que le consentement d’un peuple constitue la base du pouvoir des tyrans, monarques, politiciens, ou peu importe le nom que vous souhaitez accorder à nos admirables bourreaux. Toute tyrannie, non, tout gouvernement repose sur l’édifice frivole de l’opinion publique. Comment un tyran a-t-il tant d’yeux, tant de bras, tant de langues, s’il ne nous les emprunte? En accordant son consentement au tyran, le peuple est alors responsable de sa condition de sujet. Vrai, un roi peut donner l’ordre d’aller en guerre, de piller des châteaux, de torturer les hérétiques, mais il a besoin de la coopération d’hommes prêts à exécuter ses ordres. C’est le peuple qui accorde le pouvoir au despote. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge.

Le sentier de la liberté est non violent

L’autorité politique est alors une illusion qui naît de l’opinion publique. Jean-Jacques Rousseau disait que l’Homme est né libre, et partout il est dans les fers. Comment un peuple asservi peut-il regagner cette liberté? C’est la réponse de La Boétie à cette question qui fait du Discours une œuvre poignante et attendrissante.

Justifier le meurtre des tyrans était une tradition médiévale, et les théoriciens de ce courant sont dits "monarchomaques". N’allons pas si loin, l’enfer est pavé de bonnes intentions. La Boétie se distingue par son radicalisme pacifique. En effet, Le Discours n’est en aucun cas un appel aux armes, mais à la désobéissance civile. Nulle part dans le texte La Boétie n’encourage la violence ou les exécutions. Puisque toute tyrannie repose sur le consentement d’un peuple, c’est en désobéissant que le tyran s’effondrera sous son propre poids, tel un temple dont les piliers ont été détruits. La tyrannie est impossible lorsque le peuple refuse de coopérer. Il n’y a pas besoin de verser du sang. L’autorité politique ne repose que sur l’opinion du public et il suffit de réaliser que l’empereur est tout nu pour le suffoquer, l’assassiner. Cet appel au rejet du gouvernement injuste fait écho au traité d’Henry David Thoreau sur la désobéissance civile, rédigé en 1849. C’est d’ailleurs avec fermeté que ce dernier nous invite à être des hommes avant d’être des sujets: quand la loi porte atteinte à la souveraineté de l’individu sur sa propre personne, désobéir devient un devoir.

Trop utopique? Pas du tout. La désobéissance civile et pacifique a connu de remarquables succès. En Inde, elle a pavé la voie de l’indépendance vis-à-vis de l’Empire britannique. Aux États-Unis, elle a engendré le mouvement des droits civils. Loin d’être une fantaisie idéaliste, la désobéissance civile a souvent porté ses fruits et il est difficile de concevoir un moyen de résistance plus pacifique… À bon entendeur!