Suite au décès de la reine Élisabeth II, monarque au règne le plus long du Royaume-Uni, le jeudi 8 septembre, à l’âge de 96 ans, Ici Beyrouth vous propose un voyage dans le temps à la découverte des cérémonies funéraires royales qui ont marqué l’histoire du Royaume-Uni, depuis feu la reine Élisabeth Ire, en 1603, jusqu’à feu la reine Élisabeth II, en 2022. Le quatrième article de cette série s’intéressera aux obsèques des souverains britanniques du XIXe siècle, et donc entre les années 1820 et 1901.  

Vanitas vanitatum et omnia vanitas " (" Vanité des vanités et tout est vanité "). C’est par cette locution latine, tirée du Livre de l’Ecclésiaste, que Salomon convainc les fidèles de la futilité de la condition humaine, illustrant manifestement l’inéluctable trépas ou la pensée du Memento mori (" Souviens-toi que tu vas mourir "). Les Hiéroglyphes des Fins dernières du peintre sévillan Juan de Valdés Leal, mettant en exergue deux toiles macabres, intitulées Finis Gloriae Mundi (Fin de la Gloire terrestre) et In ictu oculi (En un clin d’œil), concrétisent, par leurs allégories funèbres, cette Mort qui se faufile à cloche pied dans le dédale d’une nature humaine lacunaire. Cette fin ultime cristallise, à son tour, la justice ultime, selon laquelle tous les Hommes, rois soient-ils ou mendiants, nobles ou paysans, riches ou pauvres, sont mis à un pied d’égalité. Et pourtant, à l’aune des siècles passés, le décès d’un monarque n’était ni intellectuellement ni socialement perçu comme la mort d’un être humain ordinaire. Imprégné de sacralité, le roi (ou la reine) se muait en un véritable souverain dont l’autorité et la personne étaient inviolables ; sa mort devenait, de ce fait, synonyme de faste et d’apparat, visant à tracer un ars moriendi (ou l’art de bien mourir) royal. Depuis le XVIIe siècle, les funérailles royales en Angleterre étaient devenues progressivement des cérémonies privées. Si, tout au long du XVIIIe siècle, de grandioses chefs-d’œuvre musicaux ponctuaient les obsèques des monarques, faisant de ces dernières de fastidieuses funérailles-concert, les cérémonies nobiliaires du XIXe siècle s’avérèrent peu fertiles en termes de créations musicales.

Le roi " fou "

À partir du XIXe siècle, la chapelle Saint-Georges du château de Windsor devint la dernière demeure des souverains britanniques. Le roi Georges II (1683-1760) fut donc le dernier monarque à être inhumé dans l’historique abbaye de Westminster. Succédant à son grand-père, Georges III (1738-1820) fut proclamé roi de Grande-Bretagne et d’Irlande, le 25 octobre 1760, jusqu’à l’union des deux royaumes le 1er janvier 1801. Il devint alors roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. Dans un vaste climat de règne autoritaire et chaotique, l’état de santé précaire et l’aliénation mentale récurrente puis permanente de Sa Majesté ébranlèrent davantage le trône d’Angleterre. Après presque soixante ans au pouvoir, le roi mourut le 29 janvier 1820 et fut inhumé dans la chapelle Saint-Georges le 16 février. Ses funérailles ressemblèrent en grande partie à celles de ses prédécesseurs, bien que l’historienne Olivia Bland ait souligné, dans son ouvrage " The Royal Way of Death (History and Politics)" , qu’il s’agissait des premières obsèques royales qui ne furent pas exclusivement réservées pour la " noblesse et la gentry ". En effet, selon une source historique, " un nombre immense de personnes avaient afflué à Windsor, pour voir la dépouille royale reposer en état ", la veille des funérailles du roi.

Portrait du roi Georges III, ©️New York Public Library

Le New Monthly Magazine avait rapporté que le chœur " descendit l’allée (…) accompagné par l’orgue, chantant le service funèbre de Croft ", qui se poursuivit " jusqu’à ce que tous les membres de la procession aient pris place ". Contrairement à toutes les funérailles royales précédentes, celles du roi Georges III comportaient deux hymnes: " Hear my Prayer, O God " de James Kent (1770-1776) après l’inhumation, suivie de la dernière phrase funéraire, et un extrait de l’hymne funéraire de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) chanté " à la fin du service, et avant la dernière collecte et bénédiction ". Il est à noter que les obsèques du roi Georges III furent également les premières funérailles royales, depuis celles de la reine Caroline, au cours desquelles l’hymne de Haendel fut de nouveau interprétée. A la fin du service, Charles Knyvett, l’un des organistes de la Chapelle Royale, joua la marche funèbre, issue de l’oratorio Saül du compositeur saxon, à l’orgue. Ce morceau retentit donc deux fois: avant le service au son des fanfares et à la fin de la procession au son de l’orgue.

Cérémonial (presque) identique

En 1811, les signes avant-coureurs d’un désordre mental du roi Georges III (dû à une porphyrie, maladie touchant la peau et le système nerveux, ou à un trouble maniaco-dépressif) éclatèrent au grand jour. Par conséquent, le prince de Galles, futur Georges IV (1762 -1830), devint régent le 5 février 1811 puis succéda à son père le 29 janvier 1820. Il mourut le 26 juin 1830 et fut enterré dans la chapelle Saint Georges le 15 juillet. Le service était, dans l’ensemble, très similaire à celui de 1820.  Dans un opus consacré à la musique jouée durant ces funérailles, on y retrouve le service funéraire complet de William Croft (1678-1727) et une sélection de l’hymne funèbre de Haendel, avec un accompagnement pour orgue, et enfin la marche funèbre de ce dernier. Une note à la fin dudit volume précise que le quatuor " When the ear heard him " et la pièce pour chœur " He deliver’d the poor ", furent interprétés durant la procession, indiquant clairement que les mêmes extraits de l’hymne funéraire de Haendel furent aussi bien joués dans les funérailles des rois Georges III et IV. La note fait, en outre, référence à une publication distincte de " Hear My Prayer, O God " de Kent.

Portrait du roi Georges IV, ©️New York Public Library

Troisième fils de Georges III, le roi Guillaume IV (1762-1837) remplaça son frère aîné sur le trône du Royaume-Uni. Moins brillant que le roi Georges IV, le nouveau souverain s’avéra, toutefois, plus diligent dans les affaires d’État. Il rendit l’âme dans la nuit du 19 au 20 juin 1837, après uniquement sept ans de règne. Comme ses prédécesseurs, il fut enterré dans la chapelle Saint-Georges le 8 juillet. Ses funérailles respectaient de très près le cérémonial en vigueur durant les trois décennies précédentes. Cette cérémonie brillait, toutefois, d’un éclat particulier, à tel point que Lady Elvey, épouse de l’organiste de la chapelle, déclara qu ‘ "aucune dépense ne fut épargnée pour rendre honneur au défunt monarque ". De plus, contrairement aux funérailles des XVIIe et XVIIIe siècles, les musiciens ne défilèrent pas dans la procession funèbre du roi Guillaume IV: les trois ensembles étaient stationnaires, les harmonies et les nuances de la marche funèbre de Haendel s’intensifiaient au fur et à mesure que la procession progressait, créant ainsi un majestueux effet crescendo. Si le programme des funérailles précédentes stipulait que " Man that is born " et " I heard a voice from heaven " n’étaient qu’à " lire ", les instructions d’Andrew Francis Barnard, greffier-maréchal de la maison royale, énonçaient clairement que certains psaumes et " I heard a voice from heaven " devaient être " chantés ". Les psaumes 39 et 90 furent, en effet, chantés sur une mélodie de Purcell.

Portrait du roi Guillaume IV

Infiniment plus international

Fille du prince Édouard-Auguste (1767-1820), duc de Kent et de Strathearn (le quatrième fils du roi George III), et d’une princesse allemande de Saxe-Cobourg, la reine Victoria (1819-1901) accéda au trône le 20 juin 1837, à la mort de son oncle, le roi Guillaume IV. Elle régna sur le Royaume-Uni entre les années 1837 et 1901, soit plus de six décennies, ce qui fit d’elle, jusqu’à la mort de la reine Élizabeth II (1926-2022), le souverain au plus long règne de l’histoire du Royaume-Uni. Au cours de ce règne, la Grande-Bretagne s’était développée pour devenir le plus grand empire du monde. Elle mourut le 22 janvier 1901. Les funérailles royales de Sa Majesté devaient donc, selon Bland, être " un évènement infiniment plus international " que celles du XIXe siècle. Cependant, contrairement à ses trois prédécesseurs, la reine Victoria avait demandé à ne pas être enterrée dans la chapelle Saint-Georges, mais dans le mausolée royal de Frogmore, au côté de son mari le prince Albert (1819-1861). Ses obsèques avaient alors été divisées en deux parties: le service funèbre à la chapelle Saint-Georges le 2 février, et l’inhumation privée à Frogmore le 4 février.

Quant à la musique proprement dite, le biographe Sir Sidney (1859-1926) indiquait que la reine avait, elle-même, sélectionné " la musique qui devait être jouée lors de la cérémonie finale ". Le Kontakion, un hymne funéraire de la tradition byzantine orientale, que la reine Victoria décrivait de " très impressionnant " et qui faisait partie du programme des obsèques, ne fut finalement pas interprété. La présence de la musique allemande était remarquable par le soi-disant " Dresden Amen " (une succession de six accords chantée par un chœur durant les services d’église dans l’état allemand de Saxe) qui avait été interprété à la fin de la procession, et la marche funèbre du génie de Bonn, Ludwig van Beethoven (1770-1827). Conformément à la tradition, le service de Croft fut chanté, mais auquel quelques modifications avaient été apportées: le verset " Man that is born of a woman" , précédant le " Thou knowest, Lord " de Purcell, fut, cette fois-ci, mis en musique par Samuel Sebastian Wesley (1810-1876). Dans la cérémonie furent également inclus l’arrangement musical de " The Lord’s Prayer " de Charles Gounod (1818-1893) et la pièce a capellaHow blest are they " de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893).

Portrait de la reine Victoria