Dans le cadre du festival Beyrouth Livres 2022, L’Orient littéraire et l’Institut français ont convié le 24 octobre le public francophone du Liban-Nord à une rencontre à Tripoli, à Al-Rabita al-Thaqafiya, avec Henry Laurens, professeur au Collège de France, autour de son dernier ouvrage Le Passé imposé. Animée par Youssef Mouawad, la rencontre s’est déroulée sous forme de questions-réponses.

Henry Laurens et Youssef Mouawad

M. Laurens, vous avez démarré votre carrière d’historien en vous focalisant sur l’orientalisme et sur ses sources françaises. Vous considérez-vous comme un orientaliste comme Sylvestre de Sacy, Massignon, Maxime Rodinson ou Jacques Berque?

Non, je ne suis pas un philologue comme eux et je ne maîtrise pas plusieurs langues. Je me définis plutôt comme un historien.

Dans votre dernier ouvrage, vous dites: "La périodisation n’est pas un absolu, elle est toujours relative à une problématique"…

En effet, à chaque problématique correspond une périodisation. Ainsi, l’histoire industrielle débute vers 1880, avec l’usage massif de l’électricité, et se clôt un siècle après, au moment du développement extraordinairement rapide du numérique. C’est pour ça qu’il est absurde d’opposer une "histoire problème" à une "histoire-période".

Edward Said a remis en cause l’orientalisme, cette science d’un Occident malintentionné qui veut maintenir l’Orient dans un essentialisme qui le fige. Vous ne partagez pas ses opinions et vous lui avez décoché quelques flèches.

Il faut d’abord distinguer orientalisme scientifique et orientalisme artistique. Edward Said s’est contenté d’une lecture très superficielle des orientalistes. Je vous rappelle la critique acerbe que lui adressa Jacques Berque et qui est très pertinente: "Edward Said a purement et simplement enfoncé une porte ouverte… il est évident que toute œuvre, qu’elle soit de science ou d’art, reflète les conditions du contexte où elle s’exprime."

Vous avez consacré une grande partie de vos recherches à "la question de Palestine" – cinq gros volumes. Le dernier s’intitule La Paix impossible. Il n’y a donc rien à espérer?

Il faudra des siècles pour résoudre cette question.

Vous ne manquez pas, dans votre ouvrage de rappeler au monde la contribution du Liban en ces termes: "La guerre du Liban, à partir de 1975, réintroduit un acteur oublié depuis le temps des armées régulières, le milicien."

En effet, avec les armées régulières des deux derniers conflits mondiaux, on avait perdu de vue la figure du milicien, qui s’approprie un territoire. Car si dans un premier temps la milice, produit de la guerre civile, se pose en défenseur du milieu dont elle est issue, parfois un financement étranger la conduit à faire "une guerre pour les autres", comme disait Ghassan Tuéni.