Rencontrer Tilda Swinton, c’est un peu comme faire partie d’un film. Sa présence, d’une quiétude enveloppante et d’une affirmation pondérée, emplit la salle. Elle qui a travaillé avec des réalisateurs aussi diversifiés que les rôles qu’elle a interprétés relève à chaque fois le défi haut la main et laisse sa marque dans le monde du cinéma. Rencontrée dans le cadre du Festival international du film de Marrakech, Tilda Swinton répond à trois questions pour Ici Beyrouth.

Vous parlez d’une "transformation" pour l’acteur… Est-ce ce qui s’est produit dans The Human Voice de Pedro Almodovar? Comment avez-vous construit votre personnage? Avez-vous analysé La Voix humaine de Cocteau?

La Voix humaine a été une expérience très intéressante. On a étudié Cocteau de près, oui. Pedro Almodovar a adapté le texte de Cocteau. Mais en même temps, c’est tellement un film de Pedro Almodovar. Il y a des réalisateurs avec qui je suis fière d’avoir collaboré et avec qui je rétitérerais volontiers l’expérience. Pedro Almodovar en est un. J’admire son travail depuis longtemps, mais son univers me semblait impénétrable. Idem pour Béla Tarr. Je l’admirais, mais je n’aurais jamais pensé faire partie de ses films. Il en est de même pour Jim Jarmusch. Avec Pedro, je pense que je connaissais intimement son cinéma et pouvais m’y identifier dans le fond, en termes de sensibilité, la forme toutefois m’était étrangère; je ne pensais pas qu’une personne comme moi pouvait être dans ses films: je ne suis pas espagnole, je ne parle pas la langue, j’ai un physique longiligne et diaphane, je suis pâle avec pratiquement pas de cils. Je dégage par ailleurs un certain calme qui ne correspond pas à ses personnages. Quand j’ai travaillé avec lui, j’ai dû jouer une femme à la Pedro. Voilà ce qui était intéressant pour moi. J’ai dû faire une "entrée en scène". Le personnage n’est pas de la même étoffe que moi. C’est une actrice… et une actrice qui ne me ressemble pas. Travailler avec Almodovar a été une masterclass pour moi. Je ne pouvais pas me fier à mon instinct; je devais suivre son intuition et il ne se trompait jamais. Il disait par exemple: "Là, tu te lèves de façon dramatique." Je lui répondais: "D’accord!" Et je m’y mettais. J’essayais de suivre son rythme et je sentais qu’on suivait une référence musicale. C’était comme une partition de musique qui le guidait. C’était très intéressant pour moi parce que je n’ai pas l’habitude de travailler ainsi.

Comment un acteur peut-il garder son équilibre mental tout en interprétant une multitude de rôles différents?

Je ne sais pas si c’est une question destinée à de vrais acteurs. Quand j’entends quelqu’un dire "je me perds dans un rôle", je me pose des questions. Je m’inquiète pour ces acteurs qui croient que le seul moyen d’interpréter un rôle est de s’y investir au point de s’y perdre. Je n’ai jamais travaillé ainsi. Même pour ce qui est de l’expérience que j’ai décrite avec Pedro, je ne me suis jamais perdue dans mon rôle…

Que gardez-vous de tous les rôles que vous avez joués?

Je ne pense pas que je garde quelque chose. Au contraire. Chaque travail finit par une séparation: c’est une pièce, un vêtement, une peau dont je me défais. Je ne m’attache à rien. C’est comme un exorcisme, une façon de me dire: je ne referai plus jamais cela.

Marie-Christine Tayah

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