L’exposition intitulée Flower Power se tient jusqu’au 26 novembre à Rebirth Beirut à Gemmayzé avec deux artistes au talent confirmé: Benoît Debbané, architecte connu pour ses peintures et illustrations formées au street art, et Wissam Eid, appartenant au monde de la bande dessinée et du digital.

Les signatures artistiques, identifiables entre mille, des deux artistes ont en commun audace, force d’expression et originalité de la facture. Un duo détonant qui se présente comme les deux faces recto verso d’une même palette.

L’une solaire et ludique avec Benoît Debbané, l’autre sombre et tourmentée avec Wissam Eid, elles ont pour thème commun la "Flower Power", thème porté comme un trophée par l’association Rebirth Beirut pour symboliser l’espoir et le renouveau. Celui d’une ville, Beyrouth en l’occurrence, plusieurs fois sinistrée, mille fois martyrisée, portée par l’énergie créatrice de ses artistes. L’art continue ainsi d’opérer son pouvoir de catharsis pour nourrir l’âme d’une ville et d’un peuple fort de ses blessures; blessures dont l’intensité continue à entretenir un vivier de créativité et d’expression artistique, et à en rallumer ainsi le feu et l’ardeur.

La version Flower Power de Wissam Eid s’exprime par un langage tout en intériorité, reflet de la remise en question de l’artiste face à la tourmente; travail d’introspection qui se décline dans une sorte de mise en abyme pour une entrée dans les dédales d’un inconscient dont la complexité se déploie en courbes noueuses, sinueuses aux touches triturées où dominent le rouge sang et le brun.

Un univers de bande dessinée s’ouvre alors au spectateur qui découvre un monde fantastique peuplé d’êtres étranges verts, sortes d’extra-terrestres tout droit sortis d’un imaginaire loufoque et glauque à la Jérôme Bosh. Un curieux langage de science-fiction difficile à décrypter qui grouille de toutes sortes d’éléments disparates non identifiables, comme des boyaux ou des couloirs noués et entortillés évoquant le travail laborieux et complexe de l’artiste dans une conquête de lui-même et de son art.

Avec Benoît Debbané par contre, le thème de l’exposition, "Flower Power", semble faire écho à la période mythique du Mayflower, celle de la révolution de l’amour et de la paix prônée par le mouvement hippie des années 60.

Pour cet artiste, le Flower Power agit comme un appel aux forces de la nature pour un retour aux sources, à la pureté originelle d’un Eden où les êtres vivants, toutes espèces confondues, peuvent coexister et vivre en harmonie avec la nature. En effet, pour Benoît Debbané, la nature forte et rebelle reprend toujours le dessus, se réapproprie les éléments les plus improbables pour gagner du terrain et réparer les dégâts causés par la folie des hommes.

Ainsi, les tournesols représentés par l’artiste ont la tête auréolée de lumière et s’invitent dans une marmite ou une citerne à essence. Sur ses toiles aussi les fleurs éclosent dans une batterie électrique, surgissent avec malice d’un bidon à essence et s’épanouissent, libres et joyeuses, dans une drôle de chaussure baptisée "shoe fleur".

Benoît Debbané se joue ainsi des objets et des mots avec humour et désinvolture, mélange des éléments incompatibles, oppose les contraires dans une sorte de clin d’œil tendre et ironique, s’amuse comme un enfant et retrouve avec bonheur sa nature première faite de jeu et d’insouciance.

Ses toiles ressemblent à des dessins ou des représentations naïves, primitives, dont les couleurs intenses et vivaces réjouissent l’âme.

L’écriture aux notes stridentes comme hachurées reste angulaire, sinueuse et signe l’identité propre et particulière du peintre. Des contours noirs viennent souligner des formes improbables où l’on voit apparaître des plumes ou becs d’oiseaux et qui finissent par se confondre aux feuilles d’arbres, aux yeux ou queues de chat. Chat qui arbore des pattes portant un vernis rouge pour une note pleine d’humour et de légèreté.

Dans cette exposition en duo et par un effet de dédoublement, l’énergie créatrice s’impose comme une force de la nature et semble déborder de partout dans une sorte de dynamique incontrôlable.

Vous serez surpris par cette énergie qui vient même repousser les limites de la toile, pour mélanger pêle-mêle d’étranges animaux et créatures, les emporter dans un tourbillon d’allégresse, une danse victorieuse et joyeuse, celle de la pulsion de vie qui triomphe avec force et panache et finit toujours par signer le mot de la fin.