Une des dernières arrivantes dans l’univers de la critique littéraire apparaît dans les années 2000. Elle s’intéresse aux représentations de la nature, de l’environnement, et du monde vivant non humain dans les textes littéraires: il s’agit de l’écopoétique, issue de l’écocritique qui cherche à interpréter les textes littéraires à la lumière de la vision écologique qu’ils véhiculent.

L’étude des rapports des hommes à la "nature" avait longtemps été orientée vers l’analyse des liens entre géographie et littérature, à travers des courants comme la géocritique qui s’intéresse à l’étude de l’espace géographique, et les travaux de Bertrand Westphal qui en constituent un manifeste. Avec la géocritique comme approche, l’analyse du texte n’est plus articulée sur des paradigmes temporels – la vie de l’auteur, l’histoire du texte ou le cours du récit (ce dernier faisant l’objet de la narratologie) mais sur des données spatiales. Ces affinités que la critique a désormais avec la géographie se nourrit de certains concepts philosophiques comme celui de "déterritorialisation" dans les travaux de Gilles Deleuze et Felix Guattari, ou la notion de "tiers-espace" (thirdspace), créée par le géographe américain Edward Soja. Les questions de l’habitat, du paysage, du pays et, de là, du "dépaysement", des (dé)territorialisations y sont fondamentales. Ces liens entre géographie et littérature déboucheront sur une poétique, ou une "géopoétique", concept inventé par Kenneth White vers la fin des années 70 et exprimé dans sa poésie. Face au constat d’un monde physique en dépérissement, la géopoétique voudrait, au-delà du souci écologique, redécouvrir la Terre et ouvrir un monde habitable.

La question spatiale se verra également associée à des perspectives sociales, des analyses genrées ou un engagement politique. C’est dans ce cadre que se développe une approche plus récente, l’écocritique et c’est aussi ainsi qu’elle est expliquée par l’une des fondatrices de ce champ d’étude, Cheryll Glotfelty, dans son introduction à l’une des premières anthologies de textes d’écocritique, parue en 1996, "de la même façon que la critique féministe aborde la littérature et la langue à partir d’une perspective genrée, […] l’écocritique ouvre les études littéraires à une perspective centrée sur la terre". Aussi l’écocritique se caractérise-t-elle entre autres par une volonté de rompre avec une approche anthropocentrique et dualiste qui consisterait à penser le lien entre l’homme avec la nature sous l’angle du rapport de possession et de domination. Aussi les années 1990 voient-elles se développer une critique universitaire de la pensée occidentale moderne incarnée notamment par Michel Serres ou Bruno Latour et fondée sur le dualisme nature/culture. L’écocritique cherche donc au contraire à décentrer l’homme tout en se méfiant du présupposé colonial faisant état d’une proximité des "sauvages" ou des "primitifs" avec la nature, en soulignant le caractère eurocentré ou plus largement occidentalocentré d’une telle conception, devenue hégémonique, de la "nature" définie en opposition à la "culture". Ainsi, les grandes idées comme celles qui nous invitent à considérer la pureté des grands espaces, la nature vierge ou la vie sauvage apparaissent, dans cette perspective, comme des réminiscences des préjugés anthropocentristes qui ont nourri l’imaginaire colonial de la "réserve naturelle".

Partant de là, l’écocritique s’intéressera aux représentations littéraires des liens qui définissent plusieurs types d’oppressions, sur les humains et les non-humains. Le croisement de l’écocritique et du féminisme ou de l’écoféminisme, permettra ainsi d’analyser des œuvres littéraires écrites par des femmes d’horizons géographiques divers, et qui ont en commun le fait de penser de manière articulée les luttes de genre et les luttes environnementales. La littérature aura donc ce pouvoir de déconstruire et de donner à repenser les mythes et les concepts qui, dans le discours occidental, ont longtemps justifié la soumission de la Nature et de la femme à une volonté de domination patriarcale.

L’écocritique mettra donc en avant l’idée d’une poésie qui serait l’expression de la terre et des êtres vivants. Elle serait apte à donner à voir et à entendre les éléments de la nature comme les vents, les mers ou les marées. Les tenants de cette critique envisagent le processus de création littéraire comme un travail écologique, voire comme une expression de cette pensée. C’est également dans cette perspective que, depuis une quinzaine d’années, l’écopoétique se développe au sein du propos écocritique. L’écocritique et l’écopoétique cohabitent donc dans les études littéraires. Leurs frontières sont parfois floues et poreuses tant il est vrai qu’elles partagent de nombreux outils de réflexion. La seconde se distingue toutefois par une attention plus marquée au travail de l’écriture et aux aspects formels, au détriment, parfois, d’une pensée ou d’un engagement politique. Ainsi, l’écopoétique s’intéresse avant tout au texte en lui-même comme un lieu où la création verbale est consubstantielle à la Création.

Face à l’évolution rapide des enjeux sociaux liés aux risques climatiques et aux menaces pesant sur les ressources naturelles, confrontée à la vision d’un monde perçu comme déliquescent et désigné par les environnementalistes comme un lieu où il est désormais trop tard pour agir, l’écopoétique tend à s’intéresser aujourd’hui à des espaces comme les friches industrielles, les zones de désastres, les univers pollués, les terrains vagues et autres non-lieux. Une poétique des villes et des cités serait en train de s’esquisser pour donner à contempler ces derniers refuges de la modernité qui font signe vers un monde en état d’épuisement définitif.