Le samedi 7 décembre, en dépit de quelques emportements, l’orchestre à vent et de percussion de LeBAM a magnifié un florilège d’œuvres instrumentales, dédié à la mémoire de Roland Raad et Chadia Tueni, avec une joie très communicative.

" Rien n’est jamais fini, il suffit d’un peu de bonheur pour que tout recommence ". Cet effet de clair-obscur que projette l’auteur des Rougon-Macquart sur le futur, pare le fatum humain de couleurs diaprées, ouvrant ainsi les écluses de l’espérance à des mineurs engloutis dans les ténèbres d’une misère séculaire. Le pays du Cèdre, à l’image du Voreux de Germinal, ne cesse de " sonner à la viande " et d’engloutir inexorablement tant de chair humaine et d’espoirs désormais fracassés. Et pourtant, la vie continue de jaillir de ces rêves jadis semés qui poursuivent stoïquement leur germination sous les cendres de ce pays martyrisé. Tel est le cas de l’Association libanaise pour la promotion de la musique orchestrale (LeBAM, acronyme anglais de Lebanese Band Association for the Promotion of Music) qui incarne, en ces temps macabres, les bourgeons d’un nouveau printemps, prêts à exploser pour les récoltes des années futures. Contraint de suspendre ses activités musicales depuis près de trois ans, l’orchestre de LeBAM a renoué, le samedi 7 janvier, avec son public beyrouthin, proposant une interprétation fervente et colorée d’un florilège d’œuvres profanes et religieuses, incluant des pages de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Mikhaïl Ippolitov-Ivanov (1859-1935), Assi (1923-1986) et Mansour (1925-2009) Rahbani, Frank Erickson (1923-1996), Jacob de Haan (né en 1959), et une panoplie de chansons traditionnelles de Noël.

Fusion des timbres

Tout au long de cette soirée emplie d’une joie délectable, les trente-trois musiciens de l’orchestre à vent et à percussion se donnent à cœur joie, en sculptant, avec précision et délicatesse, aussi bien les mélodies que les harmonies. La direction du chef, Serghei Bolun, demeure immuable et fidèle à elle-même, joignant une gestuelle souple, voire même simpliste quelque fois, à une attention sensible. Si les pupitres des bois, notamment les flûtes traversières (à quelques exceptions près), mais également des cuivres, notamment les trompettes, sont impeccables ce soir, la fusion des timbres et l’homogénéité de la phalange dans les tutti sont désormais dignes des plus hauts éloges. Quatre moments forts ponctueront toutefois ce concert, à commencer par La Procession des nobles, extraite de l’opéra Mlada de Nikolaï Rimski-Korsakov. La musique s’ouvre sur une fanfare solennelle par les cuivres, aussitôt suivie par la musique de procession, une noble mélodie pour cordes réservée, dans la réorchestration de Jay Bocook, aux bois, en l’occurrence les clarinettes, les flûtes et le piccolo. Des choix interprétatifs de l’ensemble émane une somptueuse vocalité et une gamme variée et colorée d’intonations. Les jeunes musiciens mettent ainsi en exergue la dimension collective de la pièce, où discipline, écoute mutuelle et surtout engagement règnent en maîtres absolus, qui va au-delà des distinctions individuelles. Serghei Bolun privilégie, dans la partie centrale, la continuité des lignes mélodiques à l’articulation et l’élaboration de contrastes : si la texture orchestrale est équilibrée, l’harmonie semble parfois en retrait. Le thème de la marche introductive resurgit, à la fin de la pièce, avec un regain d’énergie et une éloquence triomphale.

Débordement communicatif

La phalange musicale poursuit son concert avec deux pièces, Air for Band de Frank Erickson et Monterosi de Jacob de Haan, qui auront eu du panache sans démesure. Le débordement communicatif et le frémissant jeu de timbres dans Monterosi qui constitue le deuxième moment fort de la soirée, tout particulièrement au niveau du dialogue entre les cuivres et les saxophones auquel s’insinuent adroitement les clarinettes avant de mener à un tutti d’une sensibilité à fleur de peau, confèrent à cette œuvre son lustre unique. Très attentif à l’intelligibilité du texte, le lumineux piccolo solo se révèle, dans la dernière partie de l’œuvre, un habile coloriste, insufflant à ses camarades une ligne de chant aux couleurs claires et (presque) continue, donnant ainsi une appréciable candeur à l’architecture générale. Par ailleurs, l’interprétation d’Imani Sateh (Ma foi brille), composée par les frères Rahbani et réorchestrée par le général Georges Herro, envoûte par son imposante prestance, et constitue de ce fait le troisième moment fort de ce récital. L’orchestre relève un défi de taille en fusionnant expression lyrique et richesse harmonique. On ne peut que louer la qualité du jeu des saxophones qui instillent, dans le couplet, une dynamique exquise marquée par un rythme syncopé. Le pupitre des flûtes s’impose dans son maniement des timbres en tissant d’admirables contre-chants. Des percussions énergiques et fournies assurent une stabilité rythmique sécurisante, apportant une fraîcheur séduisante à cette réorchestration.

Réification et pseudo-romantisme

Par la suite, l’orchestration de Herro d’Agni Parthene (Ô Vierge Pure), une hymne mariale grecque composée par saint Nectarios d’Égine à la fin du XIXe siècle, suscite plusieurs controverses. Il serait ainsi essentiel voire primordial de souligner que la tradition musicale ecclésiastique rūm orthodoxe liée à la théologie mystique des Pères de l’Église sont par essence monodiques modales. Elles sont de ce fait autonomes. Une latinisation des hymnes orthodoxes, se manifestant par l’emploi de la syntaxe polyphonique occidentale, serait, par conséquent, une transgression de la grammaire générative de la musique levantine, la dénuant de sa composante intrinsèque. Ainsi, l’orchestration du général libanais, qu’on pourrait aisément qualifier de Régressive, ne tient pas compte des intervalles zalzaliens inhérents aux modes mélodiques ecclésiastiques (en l’occurrence le premier mode) de l’octoéchos instauré par saint Jean Damascène. Une telle approche ne constitue donc pas une " amélioration " du legs hymnique orthodoxe mais une réification voire même une mutilation de la Tradition, frisant la limite de l’acceptable. Heureusement, suite à cet arrangement aporique, le chef moldave propose une lecture bouleversante d’un arrangement par Herro de Ya Mariyam el-Bekr (Ô Vierge Marie), d’une justesse irréprochable de bout en bout, où le jeu poignant et perlé des bois copule avec les contrastes dynamiques des cuivres, dans une interprétation éminemment dramatique mais exempte d’une surcharge de pathos pseudo-romantique. On salue ici l’intervention du tubiste qui dénote une projection péremptoire faisant évoluer l’harmonie d’une façon captivante. Il est malheureusement impossible de le féliciter ad nominem, les noms des musiciens ne figurant pas dans le programme.

Le répertoire de la soirée a beau être copieux avec ses seize œuvres, la phalange musicale libanaise ne montre pas le moindre signe de déconcentration ou de fatigue, égrenant, dans la deuxième partie du concert, un bouquet de chansons traditionnelles de Noël. Si l’interprétation est de bon aloi, cela manque, çà et là, de précision, mais on ne byzantinisera pas plus longtemps. Il convient finalement d’applaudir chacun des instrumentistes qui sont parvenus, contre vents et marées, à insuffler un vent de fraîcheur dans le marasme musical actuel, ce qui constitue en soi une preuve d’excellence.

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