Qu’est-ce qui fait une assemblée? Ou encore, de quoi une assemblée est-elle faite? C’est la question que pose l’ouvrage dirigé par Anne Davidian et Laurent Jeanpierre publié en septembre dernier aux éditions Sternberg (Sternberg Press), et qui s’inscrit dans un projet initié en 2018 par la fondation Evens sur le phénomène des assemblées et leur potentiel de réinvention du politique. Assemblies: Modern Rituals – c’est le nom donné à ce projet – invite donc des artistes et des architectes à réinventer des formes d’assemblage en imaginant de nouveaux espaces, scénarios et rituels.

Laurent Jeanpierre est professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Anne Davidian est curatrice et éditrice travaillant à l’intersection des arts et des sciences sociales, avec un intérêt particulier pour les imaginaires politiques. En 2018, elle conçoit pour la fondation Evens le projet de recherche et d’expérimentation Assemblages: Rituels Modernes. Collaborant avec un réseau de citoyens, de praticiens, de chercheurs, d’ONG, d’institutions universitaires et culturelles avec l’objectif de contribuer à un projet européen attaché aux valeurs de diversité, de liberté, de responsabilité et de solidarité comme valeurs fondatrices du vivre-ensemble, la fondation Evens soutient des projets expérimentaux qui relient la recherche et la pratique, et facilitent l’échange de connaissances par le biais de conférences, de séminaires, de débats et de publications s’étendant aux domaines des arts, de la démocratie, de l’éducation, des médias et de la science.

Les assemblées incarnent des manières ancestrales et transculturelles de se rassembler en tant que communauté. Elles constituent la forme élémentaire de la vie politique, le lieu où la souveraineté du peuple et l’idéal d’égalité démocratique se revendiquent et s’exercent. Alors que les assemblées parlementaires restent les fondements de nombreux systèmes politiques, de multiples mouvements sociaux, au cours des dernières décennies, se sont réappropriés ces formes du collectif pour défendre des visions plus radicales de la démocratie. À la fois symptôme d’une prise de distance à l’égard des formes traditionnelles d’autorité et de représentation, et reflet des revendications de démocratie radicale, la multiplication récente des assemblées illustre une volonté croissante de changer les modes de pratique de la politique.

De fait, en période de forte polarisation sociale et de méfiance à l’égard des institutions politiques, les pouvoirs publics redoublent d’attention pour ces formats comme outils de restauration de la légitimité et de l’assentiment public, susceptibles aussi de désamorcer ou de détourner d’autres formes de mobilisation politique. Phénomène de plus en plus actuel et mondial, des assemblées de citoyens sont formées par un échantillon représentatif choisi au hasard de la population d’un pays, mandaté pour élaborer des politiques sur des questions importantes. Qu’il s’agisse donc d’alternatives à l’élaboration traditionnelle des politiques ou de compléments aux institutions représentatives vieillissantes, ces formes de prise de décision participative et délibérative recèlent un certain potentiel collaboratif, mais elles sont également souvent susceptibles d’être institutionnalisées. C’est pourquoi il est important d’examiner de manière critique leurs mécanismes, leurs effets et leurs limites.

Les questions qui découlent de ces constats liminaires sont nombreuses et essentielles: les assemblées peuvent-elles à nouveau offrir une possibilité d’imaginer la manière dont la démocratie est pratiquée? Ou faut-il les voir plutôt comme un agent neutralisant, détournant l’attention d’autres formes de mobilisation politique? Les assemblées peuvent-elles remplacer d’autres formes d’organisation politique, parfois plus permanentes? Ou sont-elles à voir comme des moments d’effervescence destinés à conduire à une action politique plus stable?

Les auteurs de cet ouvrage se proposent de répondre à ces questions en allant au-delà du constat classique du pouvoir de l’assemblée pour examiner comment celle-ci est faite. What Makes An Assembly? explore donc le potentiel des assemblées comme possibilité de réinventer la pratique de la démocratie dans les sociétés contemporaines en interrogeant la fabrique de l’"assemblage" dans ses aspects à la fois anthropologiques, esthétiques et politiques à travers des expérimentations artistiques et politiques. Pour ce faire, l’approche transdisciplinaire adoptée rassemble les propos de 25 artistes, activistes, universitaires et architectes pour une enquête qui s’ouvre à la diversité des formes et des pratiques d’assemblage à travers les histoires et les géographies et une exploration de ses aspects matériels et performatifs: ses espaces, ses architectures, ses technologies, ses chorégraphies, ses habitudes et ses rituels.

Des assemblées en territoires indigènes au Brésil à celles des Gilets jaunes en France, des communes médiévales aux parlements de rue en Afrique, l’ouvrage montre comment des assemblées citoyennes sont mises en place par les pouvoirs publics. Entre les rituels dont elles dérivent, et leur capacité à performer, à déformer et à transformer, elles témoignent des tensions entre le besoin de forme et le danger de formalisation.

Sternberg Press est une maison d’édition basée à Londres, spécialisée dans la critique artistique et culturelle, la non-fiction créative ainsi que la fiction littéraire et expérimentale et les livres axés sur l’interdisciplinarité de la culture visuelle contemporaine.