Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots récupérer notre territoire.

Quand une ville a le blues, elle a besoin de s’accrocher à des lieux communs. Revenir aux basiques comme pour se rassurer, se réconforter. Derrière des barbelés, des blocs de béton, des palissades, elle est là la gare de Mar Mikhaël, bien que géographiquement elle se situe dans le quartier Khodr. Vert comme la végétation sauvage qui a envahi les lieux, prit ses aises, puisque la gare, elle, n’a plus aucune ambition. Et pourtant… ce qui est devenu, plutôt mal gré que bon gré, un endroit "insolite" représentait, il n’y a pas si longtemps, un cœur battant de pertinence et d’utilité. Une gare animée et vivante qui servait et desservait villes et villages et où les trains semblaient ne s’arrêter que pour mieux repartir.

La gare de Mar Mikhaël. 1920

Mhattet Beyrouth, comme on l’appelait, s’est imposée d’elle-même avec l’extension de la ville, l’augmentation de sa population et le développement exponentiel du chemin de fer. Pour remplacer les diligences qui, dès janvier 1863, transportaient les voyageurs de plus en plus en nombreux à faire le trajet Beyrouth-Damas, une Société des chemins de fer ottomans de Beyrouth-Damas-Hama se constitue. La voie ferrée est alors construite. Pour desservir le centre de la capitale libanaise, une gare était donc nécessaire. On la choisira un peu décentrée, en périphérie, sur des terrains en friche et ce qui deviendra la rue du Fleuve. Le 3 août 1895, alors que la ligne Beyrouth-Damas-Hama est inaugurée, le premier train à vapeur chauffé au charbon quittera cette jolie gare toute neuve et bordée d’arbres sur plus de 60.000 m2, chargée d’accueillir le transport humain, mais aussi commercial, pour rejoindre Damas neuf heures plus tard et 147 kilomètres plus loin. C’était aussi le terminus. La gare maritime qui desservira le port de Beyrouth ne sera inaugurée qu’en 1900 et ne sera fonctionnelle que trois ans plus tard.

Construite suivant des normes françaises adaptées au Liban, la gare de Mar Mikhaël servira de modèle pour la construction de toutes les autres gares sur le trajet Beyrouth-Damas. Celle de Hadath, Baabda, Aley, Bhamdoun, Sofar, Dahr el-Baïdar puis Rayak. Le bâtiment principal est de deux étages avec un hall central aéré et convivial pour répondre au confort des voyageurs. Une salle d’attente est même réservée aux femmes. Guichet, comptoir et postes, la gare répond parfaitement aux besoins des voyageurs ainsi qu’aux impératifs du transport des marchandises. La petite voie était le khat jabali et la grande le khat sahili. Juste avant la guerre, deux services étaient assurés quotidiennement entre Beyrouth et Damas par des trains à locomotive diesel. Modifiée au cours des ans, certains espaces de la gare accueilleront, en 1985, la direction générale de l’Office des chemins de fer et du transport en commun (OFTC), alors que les trains sont à l’arrêt et que la plupart des voies ont disparu sous les constructions ou ont été démantelées par des mains avides. Durant les années de plomb, la gare désertée était le rendez-vous des chasseurs qui venaient abattre les centaines d’oiseaux nichés dans les arbres centenaires. Depuis la fin de la guerre, les projets pour réhabiliter le chemin de fer au Liban se sont succédé sans jamais aboutir. Mais y a-t-il jamais eu une vraie volonté?

Aujourd’hui, la gare est toujours là. Bâtiment, château d’eau, quais, ateliers de réparation à l’abandon. Les employés du Chemin de fer aussi. Ainsi que les archives de cette belle histoire du rail au Liban. Les locomotives et les wagons criblés de balles sont du joli brun caramel caractéristique de la rouille qui ne les a pas épargnés. La grande horloge mécanique à balancier continue de ponctuer les heures et les minutes. Signée Paul Garnier comme dans la plupart des gares ferroviaires françaises, elle n’a jamais voulu s’arrêter. Le bâtiment principal de la gare a été restauré par l’Office des chemins de fer et des transports en commun et, après l’exposition Les chemins de fer au Liban par AFAC-Liban, plusieurs événements prennent régulièrement place dans cette gare qu’on a tellement envie de se réapproprier. En faire un musée, par exemple, qui raconterait le passé triomphant et étancherait la nostalgie des milliers d’aficionados de ces trains, de ces gares, de ces ponts métalliques, de ces tunnels envoûtants et de la certitude que le Liban aurait pu retrouver sa place dans la grande famille des voies ferrées du monde pour entendre le tut tut de la locomotive et voir de loin sa fumée joyeusement serpenter. Un héritage à préserver, mais à part nous qui s’en soucie?

*Certains renseignements ont été pris sur le site de l’Association française des amis des chemins de fer – section Liban.

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