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Au crépuscule de ce 29 mai 1453, Constantinople, "la ville reine", chute aux mains des Ottomans.

Le soleil qui se levait comme chaque matin sur ses rives asiatiques ne se couchera pas de la même manière sur ses rives européennes.

L’héritière de Rome et de son empire, avec courage et détermination à se battre jusqu’au bout, est tombée. Constantinople désormais prendra le nom de Byzance comme ultime legs d’un royaume fantasmé. Sa défaite imprimera les esprits et l’inconscient collectif plus que la victoire de ses fossoyeurs.

Byzance n’a jamais cessé d’être en guerre, convoitée de toutes parts pour ses positions stratégique, militaire et commerciale avant tout, et pour les richesses qu’elle renfermait tant et si bien que la quatrième croisade, campagne militaire lancée par Venise pour reconquérir les lieux saints, s’est limitée à sa prise et à son pillage. En témoignent les glorieux chevaux en cuivre ornant autrefois son hippodrome qui trônent aujourd’hui au-dessus du portail principal de la basilique Saint-Marc de Venise.

Une succession d’empereurs et de généraux assurèrent sa gloire puis sa survie, jusqu’à ce fameux siège mené par le sultan Mehmet II, fin stratège qui, du haut de ses 21 ans, mettra fin, au bout de 55 jours, à des siècles d’un empire rapiécé.

Les entendez-vous ces cris étouffés?

De minuit jusqu’à l’aube, après trois assauts successifs et malgré la résistance d’hommes dévoués et héroïques regroupés autour du Basileus Constantin XI, la ville est prise. Des scènes d’horreur se dérouleront durant toute cette matinée… Des milliers de morts, égorgés pour la plupart, des viols, des hurlements d’agonie… et ce sont des cortèges d’hommes, de femmes et d’enfants formant plus de 50 000 esclaves qui iront assouvir les confins de l’Empire ottoman, laissant derrière eux une ville dévastée, des œuvres d’art saccagées, des églises profanées, un chaos jonché par des amas de cadavres dont ceux de l’empereur et ses généraux.

Byzance n’est plus.

Sa chute marquera définitivement la face du monde.

La tragédie en elle-même et l’événement en soi, laissant les Européens désorientés (c’est le cas de le dire), vont devenir un thème artistique. Des œuvres picturales, poèmes, récits et chansons vont illustrer la culture néo-hellénique et, dès la fin du XIXe siècle, Stéphan Zweig lui-même décrit dans son roman Les très riches heures de l’humanité les instants historiques avec une rare intensité.

L’Agonie de Byzance du réalisateur Louis Feuillade en 1913 est le seul film occidental (muet) à traiter du sujet. Un siècle plus tard, l’intensité du siège et la violence des forces déployées vont être source d’inspiration pour les Champs de Pelenor dans Le Seigneur des anneaux.

La perte de Constantinople laissera un vide incommensurable dans le conscient et l’inconscient de ceux qui se revendiquent ses héritiers, un chant du cygne à l’écho toujours lancinant, une assourdissante douleur, un feu crépitant d’un monde révolu et sans doute fantasmé.

Au-delà d’un jugement historique ou au-delà même de la frustration d’une communauté, c’est ce sentiment d’avoir échappé à son propre destin où l’injustice du monde et ses rapacités, ô combien actuelles, ont prévalu à la survie d’une certaine douce humanité.

Byzance, mon berceau, d’André Chénier
Ode III

BYZANCE, mon berceau, jamais tes janissaires
Du musulman paisible ont-ils forcé le seuil?
Vont-ils jusqu’en son lit, nocturnes émissaires,
Porter l’épouvante et le deuil?

(…) Que cent nouvelles lois qu’une nuit a fait naître,
De juges assassins un tribunal pervers,
Lancent sur son réveil, avec le nom de traître,
La mort, la ruine, ou les fers.

(…) Voilà donc une digue où la toute-puissance
Voit briser le torrent de ses vastes progrès!
Liberté qui nous fuit, tu ne fuis point
Byzance; Tu planes sur ses minarets!

NB: pensées particulières à feu SE Michel Eddé.