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Quand elle rentre dans la salle ou se lève pour prononcer son allocution à l’inauguration du Festival du film libanais à Montréal, ou encore pour assister à l’un des films projetés dans lequel elle joue, le public applaudit à tout rompre et lui lance avec ferveur: "On t’aime. On t’aime Takla."

Nous sommes à Montréal et les spectateurs sont dans leur écrasante majorité des personnes qui vivent au Canada, qui ont déjà vu à l’œuvre cette actrice libanaise et l’apprécient énormément. Les commentaires sont unanimes: "Takla est formidable". "Bitjaninn".

C’est vrai qu’elle a une filmographie exceptionnelle et un talent de comédienne hors-pair, mais c’est aussi sa personnalité qui séduit. Son discours devant l’assistance le soir du Tapis rouge a ravi ceux qui ne la connaissaient pas encore. Poétique, s’exprimant d’une voix posée et douce, comme dans une conversation intime, c’est de son expérience personnelle avec la diaspora qu’elle a exprimé sa gratitude pour l’honneur qu’on lui rendait en terre d’exil, remerciant au passage discrètement l’Université Concordia qui la recevait, dans un subtil retour du destin, puisque son époux Tony Farjallah a fait justement ses études sur les bancs de cette institution.

J’ai voulu en savoir plus sur cette personnalité charismatique, aussi subtile que sensible. Quelques réponses recueillies qui éclairent encore mieux le personnage d’un fleuron de nos planches.

Quel est le prix de la célébrité? Est-ce un atout ou un inconvénient? Comment au quotidien la gère-t-on?  

La célébrité peut monter à la tête. On se sent vivre dans un halo sans connexion avec la réalité. Mais le revers de ce genre de célébrité c’est qu’on peut tout aussi bien la perdre. Être éclipsé par quelqu’un qui, lui, occupera le devant de la scène. À ce moment, que devient la personne qui a tablé sur cette célébrité? Personnellement, tout au long de mon parcours, je surveille les changements, les ascensions et les chutes des uns et des autres et je m’autocritique. J’essaye d’être consciente de mes comportements de façon à ne pas me laisser influencer par mon succès jusqu’à ne plus être moi-même, Takla.

Par rapport à votre mari qui est réalisateur et pour qui vous êtes au sommet de votre carrière, est-ce difficile de toujours assumer le rôle de la championne?

Il y a toujours une inquiétude. Mais elle est personnelle et intime. C’est le stress professionnel.

Ce n’est pas l’angoisse de ne plus être au haut de l’affiche, présente sur les réseaux sociaux, objet de toutes les conversations, à divulguer sa vie personnelle… Je ne fais jamais cela. Je ne veux pas être victime de ce qu’on va dire de moi. Je veux que ce soient mes actions, mes réalisations artistiques dont on parle et pas des commérages et des scandales à mon propos. Par ailleurs, je ne la joue pas célèbre avec ma propre famille, ni avec les gens de mon quartier ou de mon village ou encore au supermarché. Je ne vais pas à leur rencontre comme la star Chamoun, mais comme Takla qui fait ses courses comme toutes les autres femmes. J’aime d’ailleurs beaucoup converser avec les gens, je suis très sociable. Je fais profil bas.

Vous avez la réputation d’habiter votre rôle. D’y être complètement immergée. Comment en sortez-vous une fois le tournage terminé? 

Le plus jouissif pour moi c’est de rentrer dans une autre réalité, celle du personnage que je dois interpréter et aller dans un monde fictif où je reste tout le long du tournage. À sa fin, je suis fatiguée et je ressens comme une déception. J’ai le sentiment d’une séparation, comme si on m’avait arrachée à une vie qui était la mienne pour me replonger dans la vie réelle.

Quel est votre plus grand défaut? 

Tout le monde a des défauts. Je m’aime comme je suis. Si je suis consciente d’un défaut, j’essaie de le corriger.

Quel est votre plus grande qualité? 

Je suis aimante.

De quoi avez-vous peur?

J’ai peur de perdre mon pays. Que le Liban ne redevienne pas une patrie pour tous les Libanais, qu’il ne recouvre pas sa prospérité.

Votre plus grand regret? 

Je regrette de n’avoir pas été célèbre plus tôt. J’aurais eu plus de temps pour exploiter cette célébrité et la mettre à profit.

Quelle est votre plus grande force?

On me dit que je suis forte, mais je ne le sens pas. Je suis très sensible et tout me touche.

Vos plus grands fans sont-ils des hommes ou des femmes? 

Les deux. Les hommes expriment leur considération et les femmes ne sont pas jalouses de moi. C’est je crois la clé de mon succès.

Qu’est-ce qui vous procure le plus de joie? 

Le succès. J’ai toujours voulu réussir depuis que je suis petite. J’étudiais beaucoup. Je me suis faite par moi-même. Dans ma famille, personne n’était aussi instruit que moi. J’étais seule dans mon combat à me réaliser. Mais je voulais réussir au théâtre.

N’êtes-vous pas tentée par l’écriture? 

Jeune, j’écrivais mes pensées, j’aimais l’analyse de texte, j’appréciais la littérature, la philosophie, les idées… Aujourd’hui je crois que je dois retrouver la Takla qui écrit: créer un scénario, le travailler, avant d’y participer en tant qu’actrice. D’ailleurs, souvent, je change dans les scénarios. J’arrange des scènes et les réécris au besoin si je les trouve faibles. Les réalisateurs me font confiance. Je suis souvent une référence pour eux.

À quoi rêvez-vous?   

J’aimerais avoir une académie où j’enseignerai ce que j’ai fait. Être comme une mère pour les nouvelles générations. Quand j’enseigne, c’est comme si j’adoptais mes étudiants. Ils deviennent mes enfants. Je voudrais leur transmettre ma culture, mon expérience, mes connaissances. À partir de là je veux les voir évoluer.

Quel est le rôle de la Lebanese Film Academy que vous dirigez avec votre époux Tony Farjallah?

Nous avons créé et organisé depuis vingt ans des ateliers dans le but de compartimenter en quelque sorte le travail cinématographique en professions. À l’enseignement théorique universitaire au Liban, nous proposons aux étudiants de la pratique: des sessions spéciales avec des professionnels d’ici, de Prague, de Belgique avec qui nous avons des parrainages pour des camps d’été durant lesquels pendant 10 ou 15 jours, les étudiants s’entraînent sur le terrain et expérimentent toutes les facettes du plateau de tournage.

Vous avez un parcours qu’on pourrait qualifier de zéro faute, une perpétuelle ascension que ce soit au théâtre, à la télévision, au cinéma. Comment êtes-vous arrivée à ce succès constant?

Si ma vie a toujours été une ascension, c’est parce que je me suis toujours arrêtée pour faire une évaluation de moi-même, me poser des questions, analyser ce que j’ai réalisé pour savoir vers quoi je me dirige et quelles sont les prochaines étapes.

Quelle est votre prochaine étape aujourd’hui?

Je veux être une actrice qui va vouloir dire quelque chose à travers ses rôles. Je ne veux plus seulement jouer pour jouer, être juste sur l’écran. Je veux faire des choses qui fassent du bruit, qui mènent quelque part.

Par rapport à la femme?

Pas seulement. Par rapport au pays, à l’identité, à la personne, à la civilisation, la culture, la vie, l’histoire.

Propos recueillis par Gisèle Kayata Eid, Montréal.

Ce texte a été originalement publié sur le site de l’Agenda culturel.