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Nous l’avons vu, il n’y a pas de cause unique aux troubles des conduites alimentaires. Les facteurs déclenchants étant multiples et complexes, ils nécessiteront une prise en charge multifocale. La collaboration de plusieurs catégories d’intervenants sera requise: médecins, psychiatres, nutritionnistes, psychothérapeutes, psychanalystes, sans oublier une étroite collaboration avec la famille.

Dans le cas de l’anorexie aussi bien que dans celui de la boulimie, il importe de procéder le plus tôt possible à un diagnostic, de préférence avant que le trouble alimentaire ne se soit bien installé. Il faut donc se montrer attentif aux signes avant-coureurs tels que: isolement et repli sur soi, perturbation significative de l’humeur (irritabilité, dépression), dévalorisation de soi, arrêt des règles. Et un ensemble d’autres signes en relation avec l’alimentation: préoccupations fréquentes du poids et de ses brusques variations ainsi que du nombre de calories et de l’apparence physique, évitement fréquent des repas ou grande restriction des quantités d’aliments à manger, compulsions hyperphagiques, utilisation fréquente de laxatifs ou de médicaments coupe-faim, utilisation de la salle de bains juste après un repas, exercices physiques intensifs.

L’attitude des parents, face à ces troubles, ne doit pas être impulsive, colérique ou autoritaire. Malgré leur anxiété bien compréhensive, il ne s’agit pas de jouer le rôle d’un surveillant harceleur ni de faire constamment la morale ou de souligner trop fréquemment le danger (pourtant bien réel dans certains cas) de la conduite. Il faut savoir que le sujet adolescent est en souffrance, même s’il ne le montre pas. La meilleure attitude dans ces cas est de recourir au dialogue et de s’abstenir de porter des jugements. Faire parler un adolescent n’est certes pas aisé, mais si le parent se montre suffisamment réceptif et empathique, il pourra entendre les peurs, le désarroi, les déceptions et bien autre chose, et percevoir ainsi que le malaise dépasse le trouble alimentaire lui-même. Les parents eux-mêmes peuvent revivre des souffrances de leur propre enfance, la mère, par exemple, répétant avec sa fille ses propres conflits non résolus. Si les relations deviennent trop conflictuelles, que le risque de dénutrition atteint un seuil dangereux et que tout dialogue devient impossible, les intervenants pourront proposer une séparation de l’adolescent d’avec sa famille, voire l’hospitalisation pour imposer une renutrition.

Parmi les nombreuses approches thérapeutiques possibles, et parce que l’origine de ces troubles relève d’une problématique psychique le plus souvent bien antérieure à leur apparition, tout en admettant leur incidence somatique, je m’intéresserai particulièrement à la thérapie psychanalytique.

Cette approche aura la particularité d’aller au-delà du symptôme lui-même, vers les racines profondément ancrées qui l’ont amené à s’imposer, vers la compréhension de l’affliction sous-jacente et les mécanismes psychiques qui, avec le temps, ont abouti à une conduite de type addictif. Il s’agit, en réalité, de se poser, entre autres, les questions suivantes: quels sont les mobiles cachés qui ont fait que des sujets anorexiques ou boulimiques n’ont eu d’autre choix que de recourir à ces conduites? Le symptôme s’adressant toujours à quelqu’un d’autre, est-ce une façon pour eux d’interpeller les adultes de leur entourage afin de provoquer un dialogue, une remise en question de certaines attitudes parentales ayant entravé leur émancipation?

La thérapie psychanalytique est spécifique à chaque sujet et obéit au rythme dont celui-ci a besoin. C’est un travail de reconstruction, de recherche à deux du sens et de la fonction du symptôme, un sens relevant de la vérité enfouie et unique à ce sujet particulier. Cette thérapie prend en considération la personne dans son ensemble et non un élément que l’on détache, elle recherche l’articulation entre le passé et le présent, entre les affects et leur destin, ainsi que l’interaction entre l’intrapsychique et l’environnement. L’objectif étant de rebâtir les fonctions protectrices altérées de l’appareil psychique afin qu’il puisse retrouver un équilibre entre les inévitables conflits internes et les sollicitations provenant de l’environnement externe, aboutissant au retour de la motivation et du plaisir de vivre, en harmonie avec les affects, les pensées et les actions.

Associer la famille est d’une grande importance pour donner au dispositif thérapeutique toutes ses chances. En clarifiant aux parents la symbolique du symptôme en tant que révélateur d’une souffrance ignorée, il est possible de les amener à accepter progressivement que l’adolescent puisse se dégager d’une emprise, plus précisément maternelle, qu’il vit d’ailleurs avec beaucoup d’ambivalence. Concéder à leur enfant un espace dissemblable au leur est indispensable à l’émergence d’une identité différenciée et au sentiment d’un corps qui n’appartient qu’à lui.

Cette approche déculpabilisera certains parents, et les amènera à comprendre différemment les responsabilités qu’ils doivent assumer en réinventant des relations familiales favorables à l’épanouissement du couple parental ainsi que celui des autres membres de la famille, dans le respect de l’altérité de chacun.

En ce qui concerne l’anorexie mentale, les effets de la dénutrition peuvent s’avérer, dans certains cas, si dramatiques, qu’ils engagent le pronostic vital du sujet. Une hospitalisation est alors envisagée. En plus des soins médicaux ayant pour objectif une reprise de poids, cette mesure, bien que souvent mal tolérée, pourrait être mise à profit pour sensibiliser les parents à la nécessité d’une réévaluation des interactions familiales afin que celles-ci se décoincent et s’orientent vers des processus progressifs de séparation et d’autonomisation bénéfiques pour tous.

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