Écoutez l’article

L’université Saint-Joseph a lancé, le mardi 24 octobre 2023, la "Chaire Amérique latine" (CHAL), lors d’une cérémonie à l’amphithéâtre François Bassil. Ici Beyrouth a rencontré le Révérend Père Recteur Salim Daccache et la titulaire de la CHAL, l’ex-ambassadrice de Colombie au Liban et en Jordanie Georgine el-Chaer Mallat.

L’université Saint-Joseph a lancé, le mardi 24 octobre 2023, la "Chaire Amérique latine" (CHAL), lors d’une cérémonie à l’amphithéâtre François Bassil, au Campus de l’innovation et du sport. Dans son allocution, le Révérend Père Recteur, Salim Daccache, a présenté les objectifs de la Chaire Amérique latine, créée en février 2023, qui s’inscrit dans le cadre même du rôle de l’USJ, espace de rencontre, d’éducation et de dialogue. Prenant la parole en français et en espagnol, la titulaire de la chaire, l’ex-ambassadrice de Colombie au Liban et en Jordanie, Georgine el-Chaer Mallat, a remercié le Recteur et expliqué l’importance d’une connaissance approfondie des pays de l’Amérique latine. Après un court intermède musical de chansons célèbres de l’Amérique latine présentées par les talentueuses "Christine et Isabelle", une conférence du professeur Georges Abdelnour, docteur en littérature ibérique et lusophone de l’université de Yale, fut lue pour des raisons de force majeure, par son collègue Dr Eugène Sensenig, directeur du Centre de recherche de l’émigration libanaise (LERC) à l’université Notre-Dame (NDU). Une intervention académique de haut vol qui a mis en valeur l’épopée libanaise, à travers les œuvres des figures de proue de la littérature sud-américaine, Gabriel Garcia Marquez, Mario Vargas Llossa, Luis Fayad d’origine libanaise et bien d’autres. Le Dr Abdelnour évoque dans son texte le caractère des écrivains libanais qui revient dans les œuvres des Nobels de la littérature, comme chez Gabriel Garcia Marquez, dans Chronique d’une mort annoncée, Mario Vargas Llossa et plein d’autres. Il parle de Luis Fayad qui avait signé en 1968, un recueil de nouvelles dont La chute des points cardinaux, qui relate le départ d’un navire du Liban, transportant des émigrants vers l’Amérique latine, tout comme son célèbre roman Les parents d’Esther. Étaient présents les ambassadeurs de l’Amérique latine au Liban, les anciens ambassadeurs libanais dans les pays d’Amérique latine, le chargé d’affaires auprès de l’Ordre souverain de Malte, le président de la Ligue maronite, le représentant de l’Archevêque de Beyrouth et les directeurs de centres d’études. Un vin d’honneur a clôturé la cérémonie.

Ici Beyrouth s’est entretenu avec le Révérend Père Recteur et la titulaire de la Chaire Amérique latine autour de l’aspect pragmatique de ce grand projet.

Le Révérend Père Salim Daccache, recteur de l’USJ

Vous êtes connu pour votre rôle de bâtisseur. Là vous réalisez non seulement le rêve de beaucoup de Libanais.es mais aussi celui de votre prédécesseur, feu Père Sélim Abou. Racontez-nous la genèse de ce grand projet.

Nous sommes heureux à l’USJ d’accueillir l’Amérique latine, cet espace à lui seul un continent, s’étendant sur 19 millions de km2, ses dix-huit pays, ses centaines de millions d’habitants, sa riche histoire faite de migrations et de mixité. L’émigration historique libanaise compte plus de dix millions de personnes toutes générations confondues, disséminées dans les pays de la région. N’oublions pas la multitude de maisons jésuites et les trente-trois universités et établissements supérieurs de la Compagnie de Jésus, à qui il faudra annoncer dès que possible la création de notre chaire, ses objectifs et les domaines de collaboration. Enfin un ancien grand professeur, un résistant, un recteur émérite, aurait été très content et même heureux d’entendre qu’une Chaire Amérique latine est créée dans son USJ, je veux dire le Père Sélim Abou qui s’est immergé dans l’Amérique latine, rédigeant plus d’un ouvrage inspiré de la réalité sud-américaine, Le Liban déraciné: Immigrés dans l’autre Amérique et La république des Guaranis au Paraguay actuel, ainsi que Les Mbayas guaranis, le temps de la reconnaissance. Il disait dans l’un de ses textes: "L’Amérique latine plus que d’autres espaces a été un grand projet d’intégration interculturelle pour l’homme et de l’homme." Le Père Sélim Abou s’est intéressé fortement à l’intégration culturelle en Argentine et au Paraguay, à fortiori l’ancienne présence jésuite dans ce pays parmi les Guaranis.

Avec quelles universités d’Amérique latine ou universités francophones l’USJ établira-t-elle une coopération? Y aura-t-il aussi une collaboration avec les autres universités libanaises comme le Centre d’études et de cultures de l’Amérique latine CECAL de l’université Saint-Esprit de Kaslik?

Nous avons une dizaine d’accords avec plus d’une université en Amérique latine, comme l’Argentine, le Brésil, l’Équateur, le Mexique et le Paraguay. L’un des premiers objectifs de cette chaire est que nous comprenions mieux les virtualités de l’Amérique latine, ses points ports comme ses points faibles, son économie comme ses potentialités de développement et de progrès, ses politiques et ses réalisations. Par ailleurs, elle sera un trait d’union entre le Liban, le Proche et le Moyen-Orient et les pays d’Amérique latine pour encourager les échanges d’enseignants visiteurs et d’étudiants, et les collaborations entre les différentes structures et institutions sur des projets de recherche scientifique. Ce sera surtout entre les établissements supérieurs à l’époque où globalisation et internationalisation sont des mots qui pèsent lourd dans les relations entre les nations. Si les échanges étaient timides et les projets communs plutôt rares à cause de la succession des crises au Liban qui empêchait la continuité et le renforcement des relations, la chaire aurait comme objectif de promouvoir ces échanges et de les rendre plus substantiels. Enfin, il est normal que la chaire ait une relation plus rapprochée avec le CECAL de Kaslik.

Peut-on parler de modules dans la Chaire Amérique latine à l’USJ?

L’un des projets est de mettre en place des conférences thématiques données par des professeurs, des chercheurs invités d’Amérique latine, des ambassadeurs et des spécialistes locaux. Il se peut que l’on puisse développer des unités d’enseignements (UE) consacrées à des sujets précis sur l’Amérique latine, à titre d’exemple la situation politique et économique, l’intégration culturelle des peuples immigrés, etc. Comme dans d’autres chaires, l’université peut donner la possibilité à ses étudiants de donner, à l’ensemble de ces enseignements, une valeur d’enseignement.

Est-ce la nécessité de renouer avec la partie du monde qui a accueilli le plus grand nombre d’immigré.e.s libanais.es, pour favoriser les échanges avec la diaspora, notamment sur le plan socioéconomique?

Évidemment. Car ces immigrés, devenus des citoyens de ces pays, ont joué et jouent un rôle important dans les sociétés d’Amérique latine. Non seulement dans le domaine économique mais également politique et culturel. Les exemples sont très nombreux.

L’ambassadeur du Chili avec la titulaire de la CHAL et l’Ambassadeur de l’Uruguay.

Quel rôle tiendront la littérature et les écrits journalistiques des écrivain.e.s libanais.es et ceux et celles du Moyen-Orient émigré.e.s en Amérique latine, dans l’exploration de ce patrimoine commun ?

Un rôle prépondérant, car il faudrait donner la parole à cette élite qui a marqué de son poids la vie culturelle et académique de l’Amérique latine.

La titulaire de la CHAL, l’ex-ambassadrice Georgine el-Chaer Mallat

Quels sont les principaux objectifs de la Chaire Amérique latine à l’USJ et à qui s’adressent ses différentes activités?

L’Amérique latine est une destination majeure de l’émigration libanaise et moyen-orientale, depuis plus d’un siècle et demi. Nous sommes toutes et tous fiers de nos aïeux qui ont réussi dans les domaines économique, politique, culturel et scientifique. Cette chaire sera un espace vital pour promouvoir les pays de l’Amérique latine, transmettre le savoir de ces nombreux pays aux spécificités diversifiées avec une population qui dépasse 450 millions d’habitants. Sans oublier la grande variété de paysages naturels et géographiques de la Cordillère, des Andes, aux vallées profondes, aux plateaux, aux fleuves majestueux, à la biodiversité, qui se répercute dans la richesse de la culture et de l’être humain. C’est un hémisphère immense et tous ses pays se rapprochent par leurs différents points de rencontre, notamment grâce aux langues parlées, l’espagnol et le portugais issus de la langue latine. Les pays de l’Amérique latine ont acquis leur indépendance après la colonisation ibérique au dix-neuvième siècle, en promulguant des constitutions tirées des modèles nord-américain et français avec des régimes politiques présidentiels. Ce sont des pays de migrants venus de toutes parts, notamment du Moyen-Orient et du Liban. Il nous parait important d’organiser des conférences, des expositions, des colloques, pour comprendre bien cette culture diversifiée et les défis que la diaspora libanaise a pu rencontrer. Nous allons nous intéresser également aux accords commerciaux entre eux-mêmes comme le MERCOSUR, la Communauté Andine des Nations et les accords qui ont été réalisés entre le Liban et ces pays de l’Amérique latine. Nous projetons donc de contacter des personnalités reconnues dans les différents domaines du savoir, établies en Amérique latine, pour échanger autour de leur expérience. Nos activités s’adressent au grand public comme aux professionnels.

Vous êtes l’auteure en langue française de L’Émeraude était bleue paru aux Fiches du Monde Arabe (FMA) en 1995, de Cristal de Roche aux FMA en 2000 et du Manuscrit perdu de Béryte, publié récemment aux édictons L’Orient des Livres. Quelle place occuperont la littérature et les arts dans la connaissance de l’Amérique latine, sous votre direction?

Évidemment, une place de choix. D’ailleurs, dans les brochures distribuées durant le lancement de la CHAL, on a mis en relief l’importance des publications littéraires et journalistiques des auteurs d’ascendance libanaise afin de sensibiliser le public libanais et moyen-oriental au patrimoine culturel bâti par leurs familles. Les Libanais, arrivés en Amérique latine, ont été bien reçus et ont joui des libertés menacées dans leur pays d’origine sous le joug ottoman. Ils ont pu choisir les carrières qui les intéressaient et réaliser leurs objectifs, en brillant dans les différents domaines de la culture et de la science. Ils sont partis avec des documents ottomans, c’est pourquoi on les désignait par Turcos. On disait que Bogota était l’Athènes de l’Amérique latine. Malgré cela, ils ont affronté beaucoup de difficultés et ont réussi à percer, à se distinguer. Comment ne pas citer des personnalités illustres comme Carlos Slim, le président Julio Cesar Torbey en Colombie, Luis Fayad le célèbre homme de lettres et sur le plan artistique Shakira et Salma Hayek? En fait, tous les domaines du savoir seront explorés dans le cadre des activités de cette chaire.

Dans quelle mesure les Libanais.es qui ont fui les guerres, les persécutions depuis longtemps et qui sont parfaitement intégré.e.s dans ces pays, sont enthousiastes de renouer avec leur pays d’origine pris dans l’étau des guerres?

Les Libanais immigrés sont devenus brésiliens, argentins, colombiens, portoricains, mexicains, etc. Même s’ils possèdent ce pouvoir d’adaptation énorme qui fait leur renommée et le respect qui leur est dû dans les différents pays d’accueil, ils insistent "qu’ils ont du sang libanais qui coule dans les veines" et là je parle de la troisième génération. Ils éprouvent le désir, la nostalgie de se rapprocher du pays de leurs parents, de leurs aïeux. Certains ont traduit leurs noms de famille pour être en harmonie avec le pays d’accueil et je les reconnais d’après leurs noms de famille (comme Najem devenu "Estrella" et Harb devenu "Guerra"). Leurs parents leur avaient décrit un pays de cèdre, de montagnes et de mer, un pays de dignité, qu’ils veulent découvrir sous toutes ses coutures. Avec le Père Recteur, nous voulons, parmi nos objectifs, relier ces familles à leurs proches libanais et honorer la diaspora libanaise qui fait honneur au Liban, comme aux pays d’adoption.

Quelles sont les démarches pour les motiver de revenir et peut-être, un jour d’investir?

Il faut que les autorités puissent leur présenter des facilités afin qu’ils puissent revenir dans leur pays d’origine. En premier lieu, pouvoir récupérer la nationalité libanaise facilement, en leur facilitant les formalités au moins dans les questions de délais! Et si jamais ils viennent pour investir au Liban même, il faudrait leur offrir certains privilèges pour les encourager vraiment. Dans le cadre de nos activités, nous pourrons au niveau de la Chaire, les honorer en proposant de donner leurs noms à des rues, par exemple.

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !