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Au terme de neuf jours de projections et d’échanges, le jury du Festival international du film de Marrakech, présidé par l’actrice américaine Jessica Chastain, a levé le voile sur le palmarès de cette 20ᵉ édition, où 14 films ont été projetés en compétition officielle. Rémi Bonhomme, le directeur artistique du festival, dévoile les coulisses de cette édition et met en lumière les ateliers de l’Atlas.

La vingtième édition du Festival international de Marrakech a tenu toutes ses promesses, malgré une conjoncture difficile. Cette édition est plus que jamais centrée sur le cinéma comme langage universel pour éveiller les consciences et rapprocher les peuples. Le public du festival a ainsi pu découvrir 75 films en provenance de 36 pays répartis sur plusieurs sections: la compétition officielle, les séances de gala, les séances spéciales, le 11ᵉ continent, le panorama du cinéma marocain et les séances jeune public, en plus des films projetés dans le cadre des hommages. Pour la première fois dans l’histoire du Festival de Marrakech, l’Étoile d’or revient à un film marocain: La mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir.

Interview avec Rémi Bonhomme, directeur artistique du festival

Vous avez visionné 800 films. Dans un monde où tout va mal, de catastrophe naturelle en catastrophe humaine, comment arrivez-vous à vous déconnecter pour le faire?

Le processus de sélection s’est fait dans un tout autre contexte, avant le séisme. Il commence généralement début avril et se termine début septembre. Nous sommes quatre personnes à sélectionner les films, avec quatre conseillers aussi. Ce sont des personnalités qui viennent du monde entier: du Maroc, de Hongrie, du Liban, du Canada… La programmation des 14 films en compétition résulte de nos sélections et de nos regards différents qui se nourrissent les uns les autres.

Quand on parle de "films qui cherchent à bouleverser", osez-vous vous y immerger totalement?

Il ne faut surtout pas se protéger des films, mais plutôt rester curieux et se laisser emporter par chaque film. Ce qu’on recherche dans la programmation, c’est être surpris: découvrir de belles voix du cinéma, une manière de raconter des histoires, un regard différent sur le monde. Les films en compétition nous ont, chacun à leur manière, surpris. Il y a des films qui nous touchent, d’autres moins. Je pense notamment à La mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir, en compétition, film qu’on a accompagné depuis les ateliers d’Atlas en postproduction. Il est d’une grande originalité, vu que c’est un documentaire narratif que la cinéaste Asma a réalisé en famille. On est plongé dans un récit familial qui affronte des non-dits. Cette histoire résonne aussi avec l’Histoire du Maroc. Bye Bye Tibériade, de Lina Soualem, est aussi un récit familial: la cinéaste part sur les traces de sa mère, la comédienne Hyam Abbas, qui a dû quitter la Palestine pour réaliser son rêve de devenir comédienne. Ce film fait partie des histoires de femmes qui ont appris à tout quitter. Ce sont des histoires d’exil choisies ou subies qui résonnent également aujourd’hui. Au-delà de ces films, c’est aussi un cinéaste qu’on choisit pour lui offrir la chance de la visibilité.

Comment l’idée des Ateliers de l’Atlas a-t-elle germé?

J’ai eu l’idée des Ateliers en 2018, année de leur lancement. Il me paraissait essentiel qu’il y ait au Festival de Marrakech une plateforme pour accompagner non seulement les cinéastes marocains, mais également ceux de l’ensemble de la région arabe et du continent africain. Les Ateliers devraient répondre aux besoins des cinéastes d’avoir, en plus de l’accompagnement, une plateforme d’exposition et de rencontre ouverte au monde, liée à la grande créativité du cinéma africain et arabe. Cette année, il y avait trois films marocains parvenus au festival de Cannes: Déserts, de Fawzi Bensaïdi, Les meutes, de Kamal Lazraq, et La mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir. Ces derniers, ainsi que le film jordanien, Inshallah A Boy, d’Amjad Al-Rasheed, figurent parmi les films marquants. La sélection 2023 du Festival de Marrakech inclut neuf films ayant bénéficié de l’accompagnement des Ateliers, dont quatre présentés en compétition. Parmi eux, un film de Madagascar en première mondiale: Disco Afrika: une histoire malgache, de Luck Razanajaona. Réalisé par un cinéaste formé à l’ESAV de Marrakech et tourné au Madagascar, c’est donc un film totalement africain.

Qu’est-ce qui fait le succès des Ateliers de l’Atlas?

Les Ateliers sont un véritable accélérateur; en seulement quatre jours, les projets sélectionnés bénéficient de conseils et d’un accompagnement professionnel. Leur succès est aussi dû au grand nombre de talents présents dans les régions arabe et africaine, suscitant la curiosité des producteurs du monde entier, des directeurs de festivals et du public. Les ateliers comblent un manque dans un genre ou des récits particuliers de films et rattrapent le retard accumulé au fil des ans en favorisant des rencontres.

Les films doivent-ils répondre à certains critères thématiques pour être sélectionnés?

Les Ateliers de l’Atlas ne sont pas un fonds de production. Nous ne sélectionnons ni un pays ni un thème particulier, mais un cinéaste. La visibilité internationale montre la diversité des perspectives. À titre d’exemple, Les meutes, de Kamal Lazraq, est un thriller, un genre peu développé dans la région. Les cinéastes doivent apporter des histoires qui leur tiennent à cœur. Le cinéma arabe s’éloigne actuellement des films sociaux à thème.

Instagram: @mariechristine.tayah