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Le 17 avril, dans le cadre de sa neuvième saison, la Semaine de l’orgue au Liban a proposé un retour aux sources en concoctant un programme consacré à la Renaissance et à la musique baroque.

Le Moyen-Orient est en pleine ébullition, et le Liban, plus que jamais, au bord du gouffre. Les couleurs de l’espoir s’estompent continuellement, se diluant dans une réalité sombre, morose, lugubre. Toutefois, au cœur même du fracas de ces guerres gloutonnes, qui se délectent avidement des âmes fauchées en vain, la musique continue inébranlablement de tracer son chemin à travers les ruines de cette tragédie humaine incessante. Elle fraie ainsi une voie vers un monde plus humaniste, plus compatissant, plus clément, un monde plus innocent, pour quiconque se laisse emporter par son harmonie. La Semaine de l’orgue au Liban a, une fois de plus, apporté sa pierre à l’édifice en organisant, contre vents et marrées – comme le veut l’expression désormais célèbre de ces temps incertains – sa neuvième saison musicale qui a débuté le 12 avril.

Programmation accessible

Pour son sixième concert de cette édition, tenu le 17 avril en l’église Saint-Maron à Gemmayzé, le festival propose une programmation éclectique, à la fois pertinente et accessible. Paolo De Matthaeis à l’orgue, Fabio Catania à la viole de gambe et Mario Rahi au violon livrent une lecture d’un florilège de pièces de la Renaissance et de l’époque baroque, mettant en lumière la diversité stylistique de compositeurs appartenant à différentes périodes musicales. Le récital s’ouvre avec des extraits de la Messa della Madonna de Girolamo Frescobaldi (1583-1643), la troisième et dernière messe de son célèbre recueil Fiori musicali (en français, Fleurs musicales). De Matthaeis ne se contente pas d’une lecture littérale de l’œuvre, mais laisse éclore une imagination expressive, respectant les codes stylistiques tout en capturant avec justesse l’essence émotionnelle. La démarche de l’organiste italien frôle ainsi l’improvisation dans sa spontanéité éclairée.

Sonorités veloutées

Le concert se poursuit avec deux Recercadas pour viole de gambe et orgue, des pièces instrumentales emblématiques de la Renaissance espagnole, composées par Diego Ortiz (1510-1576), grand maître espagnol du XVIe siècle. Les sonorités veloutées de la viole de gambe de Catania retiennent d’emblée l’attention. Dans un élan déclamatoire, le violiste italien déploie une maîtrise esthétique très appréciable, recherchant la pureté du son et évitant toute emphase excessive. Son intonation est impeccable, l’articulation nette et le timbre toujours séduisant. Toutefois, le flux mélodique se voit par moments éclipsé par la présence quelque peu imposante de l’orgue. De surcroît, la disposition des instrumentistes du côté droit de l’église ne favorise guère une écoute optimale, particulièrement pour ceux installés du côté gauche de l’auditoire, relégués alors dans l’ombre sonore.

Art des contrastes

La seconde partie de ce récital constitue visiblement le clou d’un programme bien construit. Les trois musiciens interprètent deux des douze sonates pour violon de l’opus 5 d’Arcangelo Corelli (1653-1713): la Sonata da chiesa op.5 n°3 et la célébrissime Sonate op.5 n°12, séparées par une lecture de la Sonate op.2 n°12 d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Les musiciens font preuve d’une maîtrise du discours baroque, mais également de l’art des contrastes et des fioritures presque improvisées. La Sonate op.5 n°12 de Corelli, un ensemble de vingt-trois variations sur le thème de La Folía, a indéniablement été le point d’orgue de cette soirée. Le trio délaisse la quête de densité sonore, malgré les possibilités offertes par le choix des instruments, pour privilégier l’expression de lignes mélodiques élégantes et restituer la finesse des ornementations. La prestation convainc sur plus d’un plan.

Devoir de mémoire

Les efforts conjoints des organisateurs de ce rendez-vous annuel, en étroite collaboration avec le Centre culturel italien, ont finalement porté leurs fruits. En observant l’évolution de ce festival au fil des années, on remarque avec satisfaction une augmentation significative du public intéressé par l’orgue. Malgré la précarité de la situation sécuritaire, les deux musiciens italiens ont choisi de venir, animés par la conviction profonde de l’importance que revêt la musique (dite) classique et par le désir de renforcer les liens d’amitié avec le Liban. Ils ont néanmoins affirmé être pleinement conscients des risques encourus. "C’est précisément dans les moments de tension que les musiciens doivent intensifier leurs performances, afin d’offrir des moments de bonheur et de réconfort à ceux qui en ont le plus besoin", affirme Fabio Catania pour Ici Beyrouth.

Par ailleurs, ils insistent sur la nécessité de maintenir vivants les répertoires des instruments anciens, tels que l’orgue et la viole de gambe, afin de préserver le patrimoine musical de manière dynamique. "Il s’agit principalement d’un devoir de mémoire. La viole de gambe est, en effet, l’ancêtre des instruments à cordes modernes. Une des techniques d’archet de la contrebasse, utilisée dans l’école allemande, trouve son origine directe dans la viole de gambe", explique le violiste italien. Il souligne par ailleurs que la compréhension des œuvres des répertoires classiques, romantiques et modernes est conditionnée par la connaissance des répertoires anciens, qui constituent le fondement des autres styles musicaux. Paolo De Matthaeis semble, pour sa part, optimiste quant à la pérennité de cette musique et particulièrement celle pour orgue. "La musique classique n’est pas cantonnée à une élite particulière ou à un groupe religieux spécifique. Elle ne connaît aucune frontière et a la capacité d’unir des personnes issues de différentes cultures, contextes et religions", note-t-il. Et l’organiste d’ajouter: "L’évolution des orgues modernes électroniques, dont le prix est plus abordable, encouragera les musiciens à étudier cet instrument".

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