Il est vrai que l’explosion du 4 août nous a fait perdre à la fois la tête et la notion du temps. Avec la pandémie qui talonnait de près cette tragédie, le calendrier a été aussi chahuté que les hormones en temps de ménopause.

Il est en effet étrange qu’une personne aussi obsessionnelle que moi côté suivi médical, le gynécologique en particulier puisque ma nouvelle tranche d’âge m’expose à des maladies graves, de réaliser que deux années et demie venaient de s’écouler sans frottis. J’avais passé mammographie et échographie, mais, comme mon gynécologue avait quitté le pays, je devais être inconsciemment en plein deuil de lui. Non seulement il fallait m’en trouver un nouveau, mais le temps me manquait pour en choisir un et surtout pour prendre rendez-vous. J’avais décidé que j’irais voir le plus proche de moi géographiquement, n’ayant aucune envie de piquer de longues trottes en voiture et perdre ainsi mon temps. Ce temps devenu aussi précieux et rare que l’or noir.

Chose fut faite. Je pris ce fameux rendez-vous qui me fut octroyé en moins de deux avec un panel d’horaire assez large. Je pouvais donc faire le choix. Et cela n’était pas pour me rassurer, loin de là. Un médecin aussi libre de son temps alors que le corps médical est devenu une denrée rare au Liban? Hum.

Il n’empêche que je me dirige le jour J à l’heure H à la clinique de celui qui allait devenir, quelque vingt minutes plus tard, mon ex-futur gynécologue. La pièce où je suis reçue est étroite, un peu entre-deux, peu de matériel obstétrique et, le comble… un médecin qui ne porte pas de masque alors que j’en porte trois superposés.

Je lui donne les détails d’ouverture de dossier et lui fais part des résultats de mes derniers tests, dont ceux d’une biopsie effectuée sur une calcification au sein gauche. Je lui tends les analyses de sang post-Covid datant de mai 2021, encore valables. Le médecin est étonné d’apprendre mon âge (flatteur, je l’avoue), il pensait que j’étais nouvellement quinqua, alors que je brandis mon âge à qui veut bien l’entendre (ou pas) comme un trophée. Il est en effet difficile d’avoir traversé toutes les épreuves de toutes mes vies (les antérieures et les actuelles) et garder une fraîcheur qui semble (encore) durer sans lifting. Puis, il me demande d’ôter mes masques histoire de voir à quoi l’ensemble de mon visage ressemblerait "pour après le Covid". Je recule le plus loin possible dans cette petite pièce et dévoile mon visage en apnée, pour ne prendre aucune inspiration virale. Il semble satisfait de ce qu’il voit. Nous passons ensuite à l’examen le plus désagréable pour toute femme, quel que soit son âge. Ouvrir grand les jambes devant un inconnu qui ira comme Christophe Colomb à la découverte de ce qui se trouve dans notre Amérique intime est traumatisant. J’ai toujours été gauche, jamais pris la bonne position, bref, ce n’est pas maintenant que je vais appliquer un mode d’emploi jamais appris. Le gynéco me propose deux packages: un frottis simple (à 1.500.000 LL) et un autre avec recherche de HPV (1.900.000 LL) à faire tous les trois ans, parce que c’est recommandé à mon âge. Je lui réponds que je n’ai aucune raison d’effectuer cette recherche, mais que bon, s’il trouve que c’est nécessaire, allons-y. Son argument: vous êtes divorcée, vous avez un compagnon, on ne sait jamais… Honnêtement, la différence de prix n’était pas importante, alors j’ai consenti. Arrive le matériel de torture: le spéculum. Cette chose odieuse qui m’a toujours révulsée pour deux raisons: la première, c’est que c’est douloureux, la deuxième, c’est ma crainte que ladite chose ne soit pas bien stérilisée. Je suis une phobique de l’hygiène. Et comme l’ensemble de la pièce me semblait bancal, j’ai vécu l’acte et le double prélèvement comme un petit supplice. On passe ensuite à l’étape palpation mammaire à l’issue de laquelle le gynécologue me félicite sur les résultats d’une intervention pratiquée… en 2001.

Arrive le moment de payer. Je n’avais, sur moi, que 1.500.000 LL, n’ayant pas prévu que cela coûterait autant. Il me dit que c’est bon, que c’est suffisant, me demande même si j’ai besoin de garder un ou deux billets… Je réponds que je rentre à la maison et que je n’en aurai pas besoin. S’ensuit tout de suite une demande: celle d’enregistrer son numéro de portable, lequel est très facile à retenir, et lui faire un appel en absence pour qu’il enregistre le mien. Chose fut faite. Il me prévient que les tests prendront du temps et qu’il me communiquera lui-même les résultats… par téléphone! À la porte et au moment où je prends congé, il ajoute: surtout n’hésitez pas à m’appeler, pas pour quelque chose relevant de la gynécologie en particulier, appelez-moi même si vous avez mal à… l’oreille!

J’ai quitté les lieux en assumant de décevoir volontairement deux personnes: le gynécologue que je n’appellerai jamais puisque je vais certainement consulter quelqu’un(e) d’autre, et le gardien du parking, à qui j’ai promis de régler le montant la prochaine fois que je viendrais puisque je n’avais plus le sou, et qui, lui non plus, ne me reverra jamais.