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La cinéaste britannique d’origine libanaise, Heiny Srour, qui vit en France, est tout heureuse. Le célèbre ICA (Institute of Contemporary Arts), l’un des hauts lieux du cinéma d’avant-garde de Londres, a repris, mercredi, 40 ans après sa première sortie, son film Leila et les loups, restauré par le Centre national du cinéma, en France. En raison du succès rencontré, le visionnage du film a même été prorogé jusqu’au 22 mai. Il repartira ensuite pour une tournée à Cardiff, Bristol, Leeds et même à Glasgow, en Écosse.

Un peu mieux connue dans son pays natal, après la rétrospective que lui a consacré, à l’automne dernier, le musée Sursock – un événement en partie occulté par l’assaut du Hamas du 7 octobre 2023 –, Heiny Srour explique que son film, projeté aussi à l’antenne de Deir el-Qamar de l’Institut français, "est un message fort et sans doute prémonitoire contre l’islamisme, quarante ans avant qu’il n’explose". Ce n’est pas son seul film, mais c’est certainement son film-fétiche, une œuvre sélectionnée à la biennale de Venise (1978) et remarquée par une commission catholique du cinéma.

Le tournage du film a pris six ans. Il juxtapose divers sketches joués par les mêmes acteurs et couvre une période allant de 1900 à 1980. Il se déroule dans des lieux imaginés ou réels, en Palestine puis au Liban. Le lien entre les sketches est assuré par une figure féminine jouée par Leila Zeitouni, dans le rôle d’une curiste londonienne préparant une exposition de photos de victimes d’héroïnes-martyres d’un conflit politique. Certaines des scènes palestiniennes ont été tournées en Syrie, d’autres dans des camps d’entraînement palestiniens recréés. Dans les séquences libanaises, on voit le cœur déchiré de Beyrouth, désert et détruit, ainsi qu’une belle séquence de militantes sirotant un café dans des maisons bourgeoises, précieuse relique d’une époque de transition entre deux générations et deux mondes.

Née en 1945 dans une famille juive de Beyrouth, scolarisée à l’Alliance israélite de Wadi Abou Jamil, Heiny Srour a suivi en France des études d’anthropologie, sous la direction de l’orientaliste Maxime Rodinson, après avoir obtenu sa licence de sociologie de l’École supérieure des lettres de Beyrouth. Elle a quitté le Liban en 1981. Toute jeune, mais encore sous la tutelle de son père (il était interdit à l’époque à une fille mineure de voyager sans la permission écrite du père), elle avait brandi, avec une bonne partie de sa génération, l’étendard de toutes les causes de libération. Le film est incontestablement une prouesse documentaire, une analyse de société un peu décousue par moments – un prix à payer à la déconstruction –, mais non moins attachante.

"Un pont de paix"

"C’est un film féministe, anti-confessionnel, une espèce de pont de paix", insiste la cinéaste. Les dialogues sont souvent d’une grande pertinence et rehaussent singulièrement le film. Ils sont de Sonia Beyrouthy, l’icône disparue du journalisme libanais et du petit écran, qui avait pris alors un nom de plume. Venue par moments des profondeurs nostalgiques du Liban, la musique du film est signée Zaki Nassif.

"Quand on se bat pour la culture, on se bat contre la guerre, écrivait Freud à Einstein. Cela n’a jamais été aussi vrai que pour ce film qui a aidé le Liban et le monde entier à lutter contre l’antisémitisme, l’islamophobie, le sexisme et toutes les discriminations", affirme encore son auteure.

À Los Angeles, l’American Musuem of Cinema vient de montrer L’Heure de la libération a sonné, un documentaire de Heiny Srour réalisé dans les premières années de 1970, sur la lutte du Front populaire pour la libération d’Oman et du Golfe arabe (FPLO). Pour tourner ce documentaire "agit-prop", la cinéaste avait parcouru plus de 800 km, avec son caméraman, jusqu’à la ligne d’affrontement avec l’armée britannique. Le film insiste sur la position révolutionnaire du front vis-à-vis des femmes.

Il est, pour le moins que l’on puisse dire, juste, que les efforts acharnés de Heiny Srour pour être un témoin de son époque soient reconnus et laissent des traces.

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