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Le 30 mai 2024, a été inauguré le Festival du printemps de Beyrouth, organisé par La Fondation Samir Kassir. À cette occasion a eu lieu la première de la huitième saison de la série documentaire Zyara. L’événement s’est déroulé devant un parterre de journalistes, d’artistes et un public passionné par l’âge d’or.

Le coup d’envoi de la 16ᵉ édition du Festival du printemps de Beyrouth a été donné hier, 30 mai 2024, à 21h, place des Martyrs, marqué par l’absence de sa fondatrice, Gisèle Khoury. Un hommage a été adressé à la grande journaliste qui a créé la Fondation Samir Kassir, après l’assassinat de l’intellectuel et écrivain en 2005. Randa Asmar, directrice du festival, a salué la mémoire de la grande absente, avant de laisser la place à Denise Jabbour, qui a annoncé la première de la huitième saison de la série documentaire Zyara (Visite). Cette saison de la série primée internationalement est un hommage à douze grands artistes libanais, parmi les plus grands noms du monde de la danse, du théâtre, de la télévision et de la musique: Georgette Gebara, Roger Assaf, Rifaat Tarabay, Randa Kaadi, Fayek Hmaïssi, Ziad Al-Ahmadiyya, Mireille Maalouf, Takla Chamoun, Harout Fazlian, Omaima Al-Khalil, Nicolas Daniel et Randa Amar. La projection, organisée par l’association Home Cine Jam, a été suivie d’une discussion entre les participants et les commissaires de la série, la productrice Denise Jabbour, la réalisatrice et directrice de la photographie, Muriel Aboulrouss, et les vedettes de la huitième saison. Ces témoignages, qui seront diffusés dans des festivals internationaux, seront disponibles dans leur version intégrale sur YouTube à partir de la mi-juin. Ils portent sur les débuts de chaque artiste et sur sa vision de Beyrouth.

Georgette Gebara

"Alors que les Libanais fuyaient les bombardements et les massacres quotidiens de la guerre, je bâtissais, pierre après pierre, l’école de danse de Zouk. Construite sur une superficie de 1 240 m², c’était comme un pied de nez à la mort. La chorégraphie du Faiseur de rêves, de Raymond Gebara, je l’ai créée sous les bombes, dans l’abri de l’immeuble. Nous avons frôlé la mort mais nous avons continué à travailler et nous avons remporté des prix pour le Liban. J’habitais à Hamra. Je devais traverser plusieurs barrages avant d’arriver à Jounieh, prendre le bateau pour Larnaca et sauter dans un avion qui me conduisait à Carthage ou à Bagdad".

Roger Assaf 

"Je suis originaire de Beyrouth, que dire de cette ville ? Dans un seul de ses quartiers, on trouvait 15 cinémas et une rue entièrement dédiée aux livres ! Toutes les idéologies fleurissaient, toutes les religions se côtoyaient dans le respect, tous les lieux de culte s’élevaient les uns à côté des autres. Beyrouth, c’était la liberté, la possibilité de communiquer entre des personnes très différentes. Ils disent : “Beyrouth renaîtra de ses cendres comme le Phénix”. Je crois qu’ils l’ont complètement détruite".

Mireille Maalouf

L’actrice Mireille Maalouf confie : "Le pire moment de ma vie a été de voir Beyrouth après 2019, lorsque l’échec de la révolution a cédé la place à l’inertie. J’ai fait du théâtre en 1968. Mon père, qui était un homme sérieux et un avocat connu, ne savait pas comment me présenter à ses amis. “Ma fille est actrice” ! Autant dire une catin ! Tout le monde a essayé de m’en dissuader. Peine perdue. Chassez le naturel, il revient au galop. La première fois que mon père m’a vue sur les planches, je jouais avec Peter Brook à Paris. Mon souvenir de Beyrouth ? Hamra était comme Broadway. On rencontrait des écrivains, des poètes, des artistes. Nous étions heureux."

Rifaat Torbey

Le choix de devenir comédien lui valut les railleries de son père, d’autant plus que sa famille était engagée en politique à Batroun. "Tu veux finir saltimbanque, pitoyable pitre ?" m’a réprimandé mon père. Mounir Abou Debs m’a confié un rôle dans sa pièce de théâtre Jésus. Le lendemain, ma photo, tirée de la pièce, faisait la une du journal An-Nahar. Le pot aux roses fut rapidement découvert. Beyrouth est plus importante que le Liban. Quel était le parrain de ce bouillonnement culturel ? Un café nommé The Horse Shoe, en face du quotidien An-Nahar. Toute la classe politique, les écrivains, les dramaturges, les peintres, les sculpteurs, les chorégraphes, les musiciens s’y retrouvaient. Les grands intellectuels du monde arabe faisaient le voyage jusqu’à Beyrouth rien que pour assister à une pièce de théâtre ou à un évènement artistique et reprenaient l’avion immédiatement après. Voilà la grandeur de Beyrouth".

Oumeima el-Khalil

Entre deux refrains, Oumeima el-Khalil raconte, d’une voix triste : "Les années de la guerre furent horrifiantes. Je voyais les blessés et les cadavres arriver au village. Mais nous étions unis pour la même cause. La première fois que je suis descendue à Beyrouth, j’ai été éblouie par les lumières ! Beyrouth est aujourd’hui éteinte. C’est une reine déchue, mais qui garde un charme mystérieux, indescriptible".

Fayek Hmaïssi

Le roi de la mime, raconte ses débuts en France, quand il se battait pour poursuivre ses études et trouver " son riz quotidien ". Un jour, il tombe sur la manchette terrible du journal Le Monde : "Le Liban est fini ". "Je ne voulais plus continuer à bosser, ni même me nourrir. Cette guerre a été manigancée, selon la carte du pays. Elle ne fut pas provoquée par l’inégalité sociale. Je décide de rentrer à Beyrouth. En 72, un acteur pouvait jouer un spectacle de mime, sans dire un mot, avec son visage teint en blanc ! C’est dire, l’avant-gardisme de Beyrouth !"

Randa Asmar

"Avant la guerre, Beyrouth possédait tous les moyens de rendre ses habitants heureux. C’était la capitale de l’élégance dans toute l’acception du terme, les horizons infinis, la culture, les arts…Tout mon potentiel culturel, je le dois à Beyrouth des années 60, 70 et même durant la guerre. Aujourd’hui, je n’aime plus Beyrouth qui ne ressemble plus à elle-même. Je ne reconnais plus ses rues ni ses théâtres, ni ses habitants. La justice est morte chez nous". Ma devise : "L’art est un moyen de transformer la douleur en création".

Randa Kaadi

"On vivait à Aïn Remmaneh, jusqu’à ce que la guerre vienne briser mon rêve de devenir actrice. Ma mère fut blessée et on retourna au village. Mon père m’écrivait des sketches, pour calmer mon désir contrarié. La guerre m’a tout volé. Comment pardonner à ma patrie d’être une marâtre infanticide ? Pourquoi les enfants du Liban sont morts dépecés ? J’ai joué le rôle de la mère éplorée d’un martyr. Nous sommes des schizophrènes, qui acceptent de subir une violence sans nom".

Nicolas Daniel

"Enfant, j’adorais jouer. On se débrouillait aves les moyens du bord pour créer une pièce. Beyrouth était la plus belle ville du monde. Les souvenirs de la place el-Borj et les souks de la capitale restent gravés dans ma mémoire. Beyrouth ne dormait pas. Je n’aurais jamais cru qu’elle sera détruite d’une façon aussi abominable. A chaque fois qu’elle se relève, on lui assène un coup fatal. Mais, nous sommes condamnés à l’espoir".

Takla Chamoun

"On nous entassait, les femmes et les enfants dans un coin, et les hommes qu’on menait à la mort, dans un autre. “Les seigneurs de la guerre” ont provoqué chez nous des traumas terribles. Quand je suis descendue à Beyrouth, je fus impressionnée par la vie qui bouillonnait en elle. La Faculté des Beaux-Arts se situait sur la ligne de démarcation. Il pleuvait des obus et les francs-tireurs ne chômaient pas. Je crois au pouvoir guérisseur de l’amour, capable de semer la joie et de déclencher l’acte créateur".

Ziad Ahmadié

"Je suis né et j’ai grandi au Koweit et quand je suis rentré au Liban en 1989, j’ai été surpris par la force et le savoir-faire des jeunes Libanais. J’étais beaucoup moins expérimenté qu’eux, ayant vécu dans un pays très stable. Je suis tombé sous le charme de Beyrouth, de sa liberté, de sa grande ouverture, de sa culture. Malgré les tracas de Beyrouth, elle ensorcèle toujours les Européens qui lui trouvent un goût unique".

Harout Fazlian

Le dénouement s’annonce néanmoins avec une note d’optimisme, sur les mots du chef d’orchestre philharmonique Harout Fazlian : "Enfant, j’accompagnais, mon père, Berge Vazlian, aux répétitions des frères Rahbani. Je restais planté là, heureux d’écouter Feyrouz. Qui aurait dit que je dirigerais moi-même l’orchestre qui accompagne notre Diva Feyrouz au Liban et à Amsterdam ?! La vie est vraiment belle ! J’ai animé quatre soirées à Baalbeck, dont celle qui fut diffusée en 2020 en pleine pandémie. Je voulais que ma musique ait l’effet des électrochocs qui réaniment le mourant. Pourquoi s’expatrier ? Pour manger du camembert au lieu du halloum ? Nous resterons là et nous construirons…"