Poète et philosophe, universitaire et essayiste, éditeur et traducteur, Michel Deguy, décédé mercredi à l’âge de 91 ans, a consacré son œuvre à défendre la poésie comme langage vital contre la marchandisation du monde.

Fondateur en 1977 de la revuePo&sie (Belin), publication de référence de la poésie contemporaine, ce grand intellectuel à l’éternelle cigarette a abordé tous les champs de la connaissance en poète-philosophe, explorant les liens entre ces deux disciplines réunies dans une " poésie pensante ".

Comme ses contemporains Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet, l’auteur du " Tombeau de Du Bellay " (1973) s’est inscrit, dès ses premiers livres publiés à partir de 1960 chez Gallimard, dans cette tradition littéraire de 2.500 ans.

Lauréat du grand prix de poésie de l’Académie française en 2004, cet agrégé de philosophie devenu en 1968 maître de conférence en littérature française à Paris VIII, a été également membre pendant 25 ans du comité de lecture de Gallimard de 1962 à 1987.

Proche du philosophe Jacques Derrida, il a participé aux revues " Critique " et " Les temps modernes ", et présidé le Collège international de philosophie de 1989 à 1995.

Il a publié de nombreux recueils de poèmes (" Poèmes de la presqu’île ", " Gisant ", " Donnant, donnant 1960-1980 ", " A ce qui n’en finit pas ", " Desolatio "), des essais (" L’Energie du désespoir ", " La poésie n’est pas seule ", " Réouverture après travaux " …), des traductions de Heidegger (" Approche d’Hölderlin "), du philosophe grec Empédocle ou du poète roumain de langue allemande Paul Celan.

– Le poète est résistant –

Né le 23 mai 1930 à Paris dans une famille d’industriel, Michel Deguy s’est toujours impliqué dans la marche du monde, s’inquiétant ces dernières années de l’avenir de la pensée et de la poésie, dans un monde d’écrans.

" Quand on leur parle d’images, les jeunes gens ne songent pas du tout à l’image du poème mais à celle de la photographie, à l’image que l’on peut saisir par les yeux, plutôt que par l’imagination ", s’inquiétait-il dans La Croix en 2011.

Le poète, à ce titre, est un résistant et la poésie ne peut se limiter à une activité culturelle. Par sa réinvention de la pensée, elle doit agir contre l’isolement des êtres, la montée des populismes, la communication qui vide le langage de son sens.

" Le poème est un aparté le plus souvent bref et quasi inaudible dans la gigantesque rumeur, bruit et fureur, qui peine à s’obstiner dans son croire changer le monde et même changer la vie ", écrivait-il dans son imposant triptyque " La vie subite " (2017).

Cette menace sur le langage est la même qui pèse selon lui, sur notre présence au monde de plus en plus dévasté. Il évoquait ainsi les liens entre poésie et écologie dans " L’envergure des comparses " (2017).

" La poésie est un mode du penser: voir et montrer le non-encore-visible et le peu-visible. L’écologie est une clairvoyance à longue portée, météoro-logique, qu’alertent les voyants rouges de toutes parts. (…). Leur conjonction et leur articulation s’avèrent indispensables et urgentes ".

Longtemps catholique, ce père de trois enfants, dont la comédienne Marie-Armelle Deguy, avait confessé son détachement de l’Eglise dans " Un homme de peu de foi " (2002). Dans " A ce qui n’en finit pas " (1995), il avait raconté avec un lyrisme tendu sa vie conjugale avec sa femme morte d’un cancer après 40 ans de vie commune " contentieuse, violente, impossible ".

© AFP

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