Framboise est une longue déclaration d’amour d’un cinéphile à Françoise Dorléac, la plus séduisante et pétillante des deux sœurs jumelles – avec Catherine Dorléac (dite Deneuve) – qui éclairent Les Parapluies de Cherbourg (1964) de Jacques Demy. C’est François Truffaut, lui aussi amoureux, qui, la dirigeant dans La Peau douce (1964), lui trouva le surnom de Framboise, clin d’œil à la chanson Avanie et Framboise (1960) de Boby Lapointe, "mais invitation aussi à croquer un fruit sauvage et goûteux, ne manquant pas de piquant(s)". Tel McPherson, Le Détective de Laura (1944) d’Otto Preminger qui enquête sur une disparue et tombe amoureux d’elle, le journaliste Aurélien Ferenczi enquête sur la vie mouvementée et complexe de Françoise Dorléac, épluchant journaux, revues, microfilms, photos de presse et de tournage, fouillant le net, découvrant sans ordre établi – car au fil(m) des trouvailles et de ses pensées – sa personnalité, allant même devant sa tombe, soulevant Quelques hypothèses sur Françoise Dorléac pour lever tout le mystère planant sur elle.

Framboise, le fruit tentateur

Framboise, c’est d’abord L’Homme de Rio (1964) de Philippe de Broca – film BD à la Tintin (et RG pour l’enquête policière) qui inspira Les Aventuriers de l’arche perdue (1981) de Steven Spielberg – où la jeune actrice (préférée à Giovanna Ralli) vole la vedette à Jean-Paul Belmondo et devient célèbre. Pieds nus et divine dans une petite robe courte et sans manches bleu céleste, elle entame, possédée et ensorcelante, un passinho endiablé. Son corps se déhanche et virevolte, ses bras et ses jambes s’agitent magiquement, accélèrent, ralentissent et figent le temps, sa chevelure ondule, ses yeux rient, sa voix enchante. Sa danse, emplie de sensualité et de beauté captivantes, épouse le rythme de la samba, appelle les sens et fait oublier les cascades et les bagarres de Bébel qui, ébaubi et envoûté tel le public, se perd de plus belle (comme elle) dans les rues de Rio. L’actrice (21 ans) est libre et indépendante, belle (mannequin chez Dior en 1959), exubérante et extravertie. Ardente, elle est un feu follet qui enflamme les cœurs, consume les hommes (dont Jean-Pierre Cassel, François Truffaut, Guy Bedos) et noue d’ailleurs une brève idylle avec Gilberto (26 ans), un technicien brésilien venu renforcer l’équipe de tournage ("Elle est rarement restée longtemps seule lors d’un tournage"). Mais Framboise, c’est aussi Cul-de-sac (1966) de Roman Polanski, film noir (au sens propre et figuré) où, dans la peau d’une châtelaine esseulée dans une presqu’île perdue, elle se fait fouetter, cris, corps et larmes, à coups de ceinture. Elle n’hésite pas non plus à se mettre plusieurs fois à nu – ce qui est sujet à scandale à l’époque – notamment en courant dans l’eau de mer froide et gelée.

Framboise, la mort en ce jardin

La mort de Françoise Dorléac dans un accident stupide de la route, tout le monde la connaît ou presque. Françoise parle très vite, danse vite et, le mardi 27 juin 1967, elle roule trop vite sur une route qu’elle n’aurait jamais dû prendre. Elle aperçoit subitement l’accès menant à l’aéroport où elle doit prendre un avion et donne un brusque coup de volant. Sa voiture dérape aussitôt sur la chaussée mouillée et percute un poteau de signalisation en béton. L’actrice, bloquée dans son véhicule, meurt, brûlée vive. La légende dit que le hall de l’aéroport résonna longtemps d’un appel infructueux: "Mlle Dorléac est priée de se présenter de toute urgence au comptoir d’embarquement." On l’attendit et l’avion s’envola finalement. Cette mort dans un accident de voiture, dans la fleur de l’âge, à 25 ans, et dans une petite Renault 10 de location, renforce aussi la légende d’une actrice au début de sa gloire, tout comme celle de James Dean, à 24 ans dans une Porsche 550 Spyder, ou de Grâce Kelly, à 52 ans dans une Rover type 3500. Le hasard ou la fatalité fait que la voiture de Jane Mansfield (une Buick Electra) s’encastre dans un camion trois jours après l’accident de Françoise Dorléac. Elle est tuée, à 34 ans, sur le coup.

Framboise, l’étoile filante

En 1959, Françoise a 17 ans. Elle affiche 1m70 pour 55 kg, des yeux noisette et 95 cm de tour de poitrine. Elle n’a qu’un but, être Greta Garbo. Elle étudie au conservatoire et part dans le Midi faire ses premiers pas devant la caméra dans Les Loups dans la bergerie d’Hervé Bromberger, film sur le péril jeune, que seule la BO signée Serge Gainsbourg sauve de l’oubli. Françoise se fait remarquer par son naturel et sa demi-nudité. En 1960, elle accepte un second rôle, à défaut du premier donné à Marie Laforêt, dans La Fille aux yeux d’or de Jean-Gabriel Albicocco, où sa nudité transparaît derechef. À l’Épi-Club de Jean Castel, sa sœur Catherine, qui n’a que dix-sept ans, rencontre Roger Vadim chez qui elle aménage dans la foulée, et Françoise et Jean-Pierre Cassel (10 ans de plus qu’elle) forment un couple fusionnel. Elle tourne dans La Gamberge (1961), film fantôme de l’oublié Norbert Carbonnaux, Arsène Lupin contre Arsène Lupin (1962) d’Édouard Molinaro (en maîtresse, plus vraie que nature, de Jean-Pierre Cassel), La Peau douce (1964) de Truffaut (film sur l’adultère dont des scènes conjugales tournées à son propre domicile accéléreront son divorce). Elle pousse Catherine, sa cadette, qui était peu motivée, au cinéma et quand sort La Chasse à l’homme (1964) de Molinaro, film où toutes deux partagent l’affiche sans une seule scène ensemble, la presse scénarise la rivalité entre les deux sœurs, qui devront souvent répondre aux mêmes questions sur leur dualité. Il faut préciser que Françoise ne se trouvait pas belle, mais trouvait Catherine belle. Michael Caine confie dans le documentaire Elle s’appelait Françoise (1992) d’Anne Andreu, avec Françoise en pétillante James Bond girl dans Un Cerveau d’un milliard de dollars (1967) de Ken Russel, que "le drame de Françoise Dorléac était sa beauté non conventionnelle qui aurait été plus facilement reconnue deux ou trois décennies plus tard. Elle ressemblait à Julia Roberts". Françoise devait tourner avec Jean-Paul Rappeneau La Vie de château, mais sa douce folie et, surtout, son engagement ferme avec Polanski pour Cul-de-sac feront que le rôle sera donné à sa sœur Catherine. Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy réunit les deux sœurs pour la dernière fois en 1967. C’est en allant prendre l’avion pour la première du film à Londres que Françoise meurt en voiture. De son côté, Catherine, consacrée avec Les Parapluies de Cherbourg de Demy en 1964 mais jusqu’alors dans l’ombre de sa sœur, voit sa carrière s’envoler.

Françoise Dorléac est une étoile qui a brillé haut, loin et fort, dans le firmament et qui a laissé son empreinte définitive dans le monde du cinéma. L’auteur extrapole et qui l’aime (Françoise) le (la) suive. Elle aurait pu tourner, en volant la vedette aux plus grandes, dans Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat, Les Mariés de l’an II de Rappeneau, La Poudre d’escampette de Philippe de Broca. Elle aurait pu rejoindre François Truffaut aux E.-U pour Rencontres du troisième type de Steven Spielberg et revenir avec lui en France pour La Chambre verte. La Belle est encore vivante dans nos esprits et continue à fasciner des dizaines d’années après sa disparition. Sur Internet, elle est toujours là avec ses photos omniprésentes et intemporelles. Comme tout amoureux transi qui veut contempler sa belle absente, l’auteur ferme son livre en commentant une série de portraits de Françoise Dorléac en pull à grosses mailles dans Cul-de-sac: "La voilà de trois quarts, puis enfin de face, quelques cheveux masquent son front, selon sa posture signature, elle est sans maquillage, dans un paysage de campagne loin de toute sophistication. Elle est merveilleuse. Sa peau paraît plus douce que jamais." Framboise, que l’on soit amoureux ou pas, est un hymne filmique à la beauté sauvage, insaisissable, éphémère et malicieuse. Pour elle, le dernier mot sera: "Avec Framboise, on ne peut rester que sur sa faim." Un livre à dévorer.

Aurélien Ferenczi, Framboise. Quelques hypothèses sur Françoise Dorléac, Institut Lumière/Actes Sud, 01/05/2024, 176 p., 17 €.

Chroniqueur: Albert Montagne

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