Georges Simenon écrivit depuis les États-Unis, où il passa dix années profitables pour son inspiration, le roman adapté au cinéma de " Maigret " auquel Gérard Depardieu prête ses traits dans un film intime et crépusculaire.

" Maigret et la Jeune Morte ", paru en 1954, est l’un des livres de la " période américaine " de l’écrivain belge.

Ce polar raconte l’enquête sur l’assassinat d’une jeune femme dans le quartier de Pigalle à Paris, qui amène le célèbre commissaire à s’intéresser à un ressortissant américain.

Pour obtenir des renseignements sur ce personnage, Maigret téléphone " par curiosité personnelle " à son contact au FBI. On apprend qu’il a un " mauvais anglais ".

Le romancier belge, au contraire, apprit à le parler couramment. " Cet anglais limité, c’est le stéréotype du Français de l’époque. Simenon, lui, voulait pouvoir se faire comprendre partout ", explique à l’AFP Benoît Denis, directeur du Centre d’études Georges Simenon de l’université de Liège, en Belgique.

L’écrivain a traversé l’Atlantique en 1945, à 42 ans, pour éviter d’être inquiété après ses publications (strictement littéraires, toujours) dans la presse collaborationniste et son contrat avec la Continental, société de production de cinéma créée à Paris par l’occupant nazi.

– Infinie liberté –

" Dans son esprit, en Europe, un écrivain n’est qu’un écrivain, alors qu’aux États-Unis, il est une star ", écrit son biographe Pierre Assouline dans " Simenon ".

Il arrive en Amérique, via la Grande-Bretagne, grâce à un visa de travail obtenu auprès du Canada. Et il l’explore avec joie.

Il habite successivement un village de la région de Montréal, Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, puis New York, où il écrit un " Maigret à New York " et rencontre sa deuxième épouse, la Canadienne Denyse Ouimet, avant de partir pour Bradenton Beach sur la côte ouest de la Floride, de changer d’univers avec Tucson et Tumacacori en Arizona, et d’atteindre le Pacifique à Carmel-by-the-Sea en Californie, bourgade côtière prisée des artistes.

La majesté des paysages, la simplicité des rapports sociaux, l’infinie liberté dont il jouit le charment. " Il me paraît extravagant, d’ici, qu’il puisse exister des cafés littéraires, des salles de rédaction et des antichambres d’éditeurs ", écrit-il à André Gide en 1948.

La naissance d’un fils en 1949 lui fait chercher un point d’ancrage. Ce sera une maison dans le Connecticut, où il passera cinq années, de 1950 à 1955.

" Il va être très heureux dans cette Amérique-là. Elle lui offre le modèle d’une société dont il rêvait, libérale, où la naissance ne pèse pas, où chacun a sa chance, chacun est libre, y compris d’échouer. C’est aussi un pays de l’abondance, qui contraste avec la gêne de sa jeunesse à Liège ", raconte Benoît Denis.

– " Un Paris populaire " –

De la Nouvelle-Angleterre viendront nombre des meilleurs épisodes de Maigret, dont ce " Maigret et la Jeune Morte ".

Le magazine Paris Match, en 1953, décrit un bourreau de travail qui, levé à 6 heures chaque matin, pipe au bec, " tape à la machine, avec une vitesse de mitraillette, sans presque jamais s’arrêter, ni se corriger ", pendant deux ou trois heures, lui " le seul écrivain qui écrit plus vite qu’on arrive à le publier ".

Ces romans restituent impeccablement l’ambiance brumeuse de Paris, capitale qu’il a sillonnée dans les années 20 et 30.

Selon Benoît Denis, " le paradoxe est qu’avec la distance, il va comme beaucoup d’écrivains exilés parvenir à styliser, épurer sa représentation de Paris. Les Maigret américains seront associés à l’image nostalgique d’un Paris populaire qu’il a remarquablement saisi ".

Un an après " Maigret et la Jeune Morte ", Simenon quitte les États-Unis sur un coup de tête. La vieille Europe lui manque. Et il a échoué à devenir écrivain américain : curieusement, ses romans restent traduits en anglais… par des Britanniques.

© AFP