Lundi matin. Le mois est celui de juillet qu’août bascule pour qu’il tire à sa fin. Humidité insoutenable. Vacances d’été. Cahiers d’été que je finis fissa pour me retrouver avec mes dix doigts qui s’étaient mis à tourner compulsivement les pages d’un roman que je lis à l’insu de mes parents et qui a pour titre Nana de Zola. Je n’ai que douze ans.

Lézarder au soleil en prêtant l’oreille aux vagues dociles qui viennent laper douillettement le sable déjà humide n’est nullement, pour moi, une jouissance en soi. J’aime la mer quand elle est houleuse, quand elle boude et râle, quand elle dépose à mes pieds, comme devant un roi conquérant, des coquillages; quand elle dégorge de ses abysses ses varechs muqueux qui entravent mes avancées dans la grande bleue.

Je tourne en rond, moi qui suis la quadrature du cercle en famille. Je fais l’ours en cage que ma mère tente de dompter en m’assignant des tâches insipides. Elle négocie du haut de son balcon avec le marchand ambulant le prix des courgettes, concombres, tomates, pommes de terre. Je déroule vite le panier en osier dans lequel le démarcheur déposera la marchandise. "À mon bon lait bien chaud! Qui veut mon bon lait!" Du coup, on sonne à la porte. J’y accours. J’ouvre la lourde. Je crie: " Maman, c’est le laitier." Je lui souris. Il m’en renvoie un genre pleine lune. Sourire lactescent à l’image de son lait cru entier. Il me batifole les cheveux. Il était aussi jovial que coutume. "Ça va jeune homme? Ta maman est à la maison?" Il transbahute un très beau bidon de lait en laiton (j’aime la musicalité de cette phrase. Relisez-la). Ma mère s’amène aussitôt avec une casserole qu’elle porte à bout de bras, comme si l’occasion était celle d’une offrande. Le laitier dépose son bidon et dégaine sa mesure de lait de sa ceinture qu’il plonge avec dextérité dans le bidon. La cascade opaline choit dans la casserole formant des bulles qui éclatent aussi rapidement que celles d’un savon. Je ris. "Ça t’amuse, n’est-ce pas!", me dit ma mère avec dans la voix un rire qui se retient. "Oui, beaucoup. Il est beau le lait. Et le monsieur est gentil." Le laitier, obéissant à je ne sais quel ordre divin me remet la mesure pour m’inviter à prendre la relève. Je suis estomaqué par ce retournement de scène. Je plonge la mesure dans le bidon et je déverse lentement la substance blanchâtre dans la casserole rien que pour éterniser ce moment devant mes yeux ébahis. "Cela fait deux litres, annonce le laitier." Il empoche l’oseille que ma mère lui tend. Je lui demande: "Qu’est-ce que vous faites du lait non vendu, tourné ou suri?" "On le transforme en beurre, fromage ou crème", me répond-il.

Curiosité assouvie. L’âge des découvertes est à son paroxysme.

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Samira

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