Journaliste et auteure libano-canadienne, Gisèle Kayata-Eid signe son nouveau livre Beyrouth Tendresse, publié aux éditions ArtLiban-Calima. "J’ai écrit ce livre pour transmuter, l’espace de quelques pages, la tristesse en un livre lumineux", confie l’auteure à Ici Beyrouth. Entretien.

Pourquoi encore un livre sur Beyrouth?

Pour ne jamais tourner la page, pour l’immortaliser. Parce que Beyrouth est toujours vivante en moi. Pour me consoler, parce que c’est ma façon d’exprimer ma douleur, ma tendresse. Pour garder noir sur blanc quelques souvenirs encore vivaces avant que la mémoire et le temps ne les jettent dans l’oubli. Parce que je voulais poser un geste personnel comme on le ferait pour quelqu’un qu’on apprécie. J’ai écrit ce livre pour transmuter, l’espace de quelques pages, la tristesse en un livre lumineux.

En quoi est-il différent des autres livres sur Beyrouth?

Beyrouth Tendresse n’est pas nostalgique. Je n’aime pas du tout la nostalgie. Ce regret mélancolique. Cette tristesse. Ce désir de retrouver un passé perdu. Je ne ressens pas de nostalgie et je n’aime pas l’entretenir. Le passé était beau? Soit. Le présent l’est tout autant. D’une autre façon. Ce n’est pas une question d’âge, mais de caractère je crois. Je vis trop dans le présent pour avoir le temps de m’attarder sur le passé. L’Histoire ne m’intéresse d’ailleurs que dans la mesure où elle explique le présent.

Pourquoi avoir choisi des récits pour raconter Beyrouth?

Actuellement tout est storytelling. On écrit des histoires en pub pour lancer un produit, pour introduire une conférence, pour expliquer un phénomène… Les descriptions peuvent être ennuyantes. Mais une histoire, ça fait voyager, ça amuse, ça intéresse, ça détend. Ça permet de relater tout avec des comparaisons, commentaires, arrêts, rebondissements. Une histoire c’est fabuleux. L’histoire est le moteur de la plupart des genres littéraires.

J’avais lu un très beau livre d’Alain Mabanckou, Les Cigognes sont immortelles, dans lequel l’écrivain congolais, pour raconter un gros événement politique, un coup d’état sanglant, s’était glissé dans la peau d’un jeune garçon de 12 ans. C’était très touchant. C’est finalement ce que j’ai un peu fait dans ce livre en me replongeant dans la peau de la petite fille que j’étais qui évoluais, heureuse, à Beyrouth.

Est-ce un livre autobiographique ?

Non, pas vraiment. La démarche ne l’est pas. J’écris à partir de faits, de situations que j’ai connus et vécus, mais je les romance. Je construis un scénario autour.

Pourrait-on en tirer des conclusions sur la vie beyrouthine ?

Mes histoires ont toute une raison d’être qui se décline dans la chute et qui souligne une caractéristique du Beyrouthin, comme la peur du mauvais œil, (une des histoires raconte l’injonction que nous avions de ne pas regarder les Kerdiyeh qui circulaient en ville); ou celles qui décrivent une habitude, comme celle de se faire livrer l’épicerie à la maison…  On peut mener une étude sociologique avec mes histoires sur les Beyrouthins. Mais ce n’est pas mon but.  Moi je décris les situations avec humour et du recul bien sûr. Toutefois mes récits ne portent pas de jugements, Ils dépeignent les réalités que nous vivions.  Comme quand je raconte comment nous " descendions en ville " et comment notre attitude était tout à fait différente de celle des jeunes d’aujourd’hui.  On peut en tirer des conclusions, bien sûr. Mais je ne fais pas d’études de caractères et encore moins d’évaluation sociologique.

Comment avez-vous retrouvé Beyrouth après l’attentat du 4 août qui a été le déclencheur de ce livre ?   

Je l’ai retrouvée comme je l’avais laissée. Du moins mon sentiment envers Beyrouth n’a pas changé. C’est comme une vieille histoire d’amour entre deux personnes. Le conjoint peut prendre de l’âge, devenir plus lourd, plus lent, plus laid. Son partenaire, s’il l’aime, ne verra pas son changement ou s’il le constate, il ne l’en aimera pas moins. L’amour est aveugle. Si c’est vrai entre deux personnes, ça l’est aussi envers une ville qu’on aime.

J’ai ressenti exactement la même chose que je ressentais à chaque fois que je revenais à Beyrouth. C’est MA ville. Mes repères sont toujours là.  Elle a toujours la même attitude face à la vie. Ses gens sont restés pareils. Ses femmes sont encore élégantes, malgré tout. Ses jeunes filles branchées, intéressées et aguichantes. Ses hommes sont toujours aussi galants. Et je ne crois pas que cela va changer, même si les coupures d’électricité sont ravageuses, si le prix du bidon d’essence est faramineux ou qu’il y a des pénuries de farine ou de sucre. Il y a un peuple, un rapport aux choses, des traditions qui sont toujours là. Il faudra plusieurs années avant que cela ne change drastiquement. J’espère que d’ici là, on aura retrouvé un semblant de normalité.

Le lancement de Beyrouth Tendresse, publié par les éditions Calima Art Liban aura lieu le 20 mars 2022, au Country Lodge (Bsalim), de 16h à 19h.
Tous les bénéfices de la vente de l’ouvrage seront reversés à la société de Saint-Vincent-de-Paul, au profit des personnes âgée.