Très attendue sur les planches, cette pièce originale, dans le fond comme dans la forme, intrigue. Pourquoi Antoura? Pourquoi le "Sentier de la lune"? Comment l’idée de cette pièce est-elle née? Joe Abi Aad, qui porte la double casquette d’acteur et de co-producteur, répond aux questions d’Ici Beyrouth. Rappelons que la pièce se produira au théâtre Monnot, du 26 avril au 1er mai.

Comment l’idée de la pièce est-elle née ?

C’est plutôt une question pour l’auteure, mais je crois pouvoir vous dire, pour en avoir beaucoup parlé avec elle, qu’elle a gardé un souvenir très fort du Liban, à travers son expérience professionnelle comme consule générale (de 2013 à 2017) aussi bien que théâtrale (nous avons créé deux spectacles en 2015 et 2017 sous la mise en scène de Valérie Vincent). Elle avait une très grande envie de poursuivre cette aventure, en dépit de l’éloignement, puisqu’elle a été nommée ambassadrice à Manama après Beyrouth. Tout naturellement, la pièce devait parler de ce Liban qui l’avait tant marquée, de son histoire tourmentée, à travers le destin de cette famille franco-libanaise enchaînée à son passé par un lourd secret d’enfance.  Avant même que l’encre ne soit sèche, nous savions que ce projet n’aurait de sens que s’il avait le Liban pour berceau. La parution du livre aux éditions Les Cygnes en France et la préparation de cette création théâtrale au Liban sont allées de pair.

Pourquoi Antoura en particulier?

Antoura n’apparaît que tardivement dans la pièce, mais ce haut lieu de la culture et de la francophonie est en réalité la matrice de toute l’intrigue. C’est au collège lazariste d’Antoura que furent donnés les premiers enseignements en français en 1834, provoquant une émulation éducative qui a touché la majorité des communautés et qui porte toujours ses fruits aujourd’hui. Du reste, notre pièce devait initialement être créée au théâtre du collège, où les pères nous accueillaient à bras ouverts, mais les circonstances économiques nous ont fait renoncer à ce projet. Antoura est un lieu profondément inspirant, dont les murs couleur pain d’épice abritent des pages brillantes et des pages sombres, ainsi que des archives passionnantes qui reflètent un pan d’histoire des relations franco-libanaises, bien avant l’avènement du Liban. Nous sommes allés plusieurs fois en reconnaissance au village d’Antoura, dont le sentier de la lune, qui donne son nom à la pièce, comporte bel et bien les maisons de nos héros… en tout cas selon notre cœur et notre imagination!

Je voudrais ajouter que Cyril Jabre et moi-même avons passé une partie de notre scolarité dans ce collège. Même si c’est là une pure coïncidence, elle ne fait que renforcer notre implication personnelle dans ce projet.

Un objectif important de notre projet consiste à financer la scolarité d’enfants du collège Saint-Joseph à Antoura.

Sur quelles bases avez-vous recruté les acteurs?

La réussite d’un projet théâtral repose beaucoup sur la complicité entre les acteurs et la metteuse en scène.  Nous avions joué en 2017 L’étrange destin de M. et Mme Wallace, mis en scène par Valérie Vincent, avec à l’affiche Cécile Longé, Cyril Jabre, Mohamed Sidibé et moi-même. Nous avons voulu retrouver cet esprit de bienveillance dans Antoura, sentier de la lune.

Je joue le rôle de Julien Forgelat, directeur franco-libanais d’un laboratoire pharmaceutique, Cécile Longé le rôle de Virginie, ancienne volontaire en ONG médicale en Afrique, épouse de Richard Al Halabi, directeur général de Sagalis, distributeur international de produits pharmaceutiques.

Mohamed Sidibé, initialement prévu à l’affiche, n’a finalement pas pu nous rejoindre pour des raisons professionnelles et nous avons donc organisé un casting pour le rôle d’Isidore et recruté Charles-Henry Peler, acteur professionnel parisien, qui est venu tout exprès à Beyrouth pour tourner ses scènes.

Léopoldine Apra joue le rôle de Céline, également franco-libanaise et "fraîche comme une fragrance de gardénia". Léopoldine étudie l’art dramatique à Londres, nous l’avons rencontrée d’une manière fortuite et heureuse, et recrutée également après un casting. "Elle incarne un personnage fantasque et sage à la fois, sorte de fil rouge de l’intrigue, ouvreuse de portes au sens propre et figuré." Le rôle de Nadia est tenu par Achtarout Aoun, actrice libanaise confirmée et proposée par notre talentueuse metteuse en scène, Mirana Al-Naïmy.

Notre pièce comprend en effet 4 rôles joués "en présentiel" et 2 rôles filmés en vidéo et projetés sur scène.

Je voudrais élargir le champ de votre question et rendre hommage à notre équipe artistique et technique d’une vingtaine de Libanais(e)s, tous professionnels, sans lesquels notre projet ne pourrait pas voir le jour.

Cette équipe de choc assure la scénographie, la conduite lumière, la conduite son, les décors, les costumes, le tournage des vidéos, les effets spéciaux et la post-production, la photographie, le graphisme, le montage des vidéos de promotion, la communication digitale, les relations presse, etc.

Quel message souhaitez-vous transmettre à travers cette pièce?

La pièce traite de plusieurs thèmes majeurs, comme celui de l’exil, celui de l’emprise conjugale, celui du passé "qui ne passe pas". Je soulignerais en particulier le message de pardon et d’apaisement salutaire des blessures de la vie.

Nous voulons également, à travers ce projet, contribuer à la vie théâtrale libanaise qui reprend vigoureusement en ce moment. Les salles sont remplies parce que les Libanais sont assoiffés de culture après deux années extrêmement difficiles. Nous sommes heureux et fiers de participer à cette dynamique.

Nous souhaitons également perpétuer la tradition d’un théâtre francophone au Liban, dans un écrin emblématique de la vie culturelle libanaise, le théâtre Monnot, et ce, malgré les difficultés rencontrées, notamment pour le financement du projet.

Quels sont vos futurs projets, si vous en avez déjà?

Notre spectacle sera surtitré en arabe classique. Nous espérons ainsi pouvoir faire une tournée dans les pays arabophones, pourquoi pas dans le Golfe ou l’Arabie saoudite. Nous visons également la France, bien sûr, où nous avons déjà des pistes. Tout ceci demande à être consolidé, mais nous ambitionnons de tirer le meilleur parti du travail considérable que nous fournissons depuis plusieurs mois.

Nous "faisons un rêve" de faire voyager une création théâtrale intégralement produite et née au Liban. Pour le réaliser, il nous faudra assurer une rentabilité économique que nous n’atteindrons certainement pas sur cette seule création au Liban, puisque nous ne pouvons guère compter sur les rentrées des billets ni sur la contribution de mécènes, devenus très rares. Nous restons confiants et nous tournerons vers les amis du théâtre libanais dans les pays où nous envisageons de jouer. Un match après l’autre, nous devons réussir Beyrouth avant toute chose et nous comptons déjà sur les nombreux lecteurs et amis d’Ici Beyrouth pour nous accompagner…

 

La façade du Collège Saint-Joseph à Antoura

https://www.facebook.com/antourasdl.theatre

https://www.ulule.com/une-creation-theatrale-pour-le-liban/