La mode à caractère religieux s’inspire avant tout du vêtement religieux, celui porté par les clercs, et même par les prophètes. Sa signification dans la Bible varie considérablement entre l’Ancien et le Nouveau Testament. L’habit tel que décrit dans le Deutéronome est souvent associé à la pénitence et au deuil. Les croyants déchirant leurs vêtements pour symboliser leur chagrin. Au contraire, le vêtement miraculeux de Jésus revêt un autre sens dans le Nouveau Testament. Dès que la femme hémorragique affirme :  " Si je touche seulement son vêtement, je serai guérie  " (Évangile de Marc, 5.28), l’habit chrétien devient rédempteur. À partir de ce moment-là, les couleurs sont teintées de signification. Le vêtement rouge de Jésus lors de la passion est réutilisé pour honorer les idoles, tandis que le blanc, symbole du baptême du Christ, est porté par les néophytes pour chaque sacrement jusqu’au mariage.

Lilly Collins dans une mini-robe avec un jupon en tulle conçue par Givenchy.

Le vêtement peut également être utilisé comme un moyen de communication, véhiculant des informations sur la personne qui le porte. Déjà dans l’Ancien Testament, il était précisé quels vêtements étaient appropriés pour les prêtres (Exode 28, Exode 39, Lévitique 8). Chacun d’entre eux portait une tunique de lin avec une ceinture sacerdotale et un turban, même si les détails variaient pour les prêtres sacrificiels. Les vêtements religieux chrétiens ont donc été aussi utilisés pour indiquer l’appartenance des moines à leur ordre monastique ou la teneur des sacrements effectués par les prêtres. Nonobstant, contrairement à ce que l’on peut penser, le vêtement chrétien ne s’inspire pas de l’habit juif, mais des toges romaines. Les classes dirigeantes de l’Empire utilisaient la mode comme un moyen de montrer leur richesse et leur rang dans la société, et même si les vêtements des prêtres chrétiens visent à refléter le sacré, ils représentent aussi l’Église dans toute sa magnificence. L’habit fait office de marque d’autorité, impressionnant les foules et incarnant la sainteté par la richesse de leur réalisation. Les couleurs, comme les coupes, portent une symbolique bien précise. Les chasubles diffèrent selon les saisons, les cérémonies et les fêtes religieuses. Le rose, par exemple, est une couleur rare utilisée uniquement le quatrième dimanche de carême, ainsi que le troisième dimanche de l’Avent, alors que le vert, emblématique du renouveau, est utilisé tout au long de l’année.

Il n’est donc pas surprenant que le vêtement chrétien, dans toute sa diversité, soit devenu une source d’inspiration pour les créateurs de mode. Il représente le luxe, le sacré, mais aussi la rigueur et la discipline. C’est ce pouvoir d’autorité qui a inspiré Gabrielle Chanel au début de sa carrière. Après être née à Saumur en 1883, elle passe sa jeunesse à l’Abbaye d’Aubazine, où elle séjourne de douze à dix-huit ans. C’est d’ailleurs dans cet orphelinat qu’elle apprend à coudre, tout en étant fortement inspirée par le décor et l’allure austère des religieuses. Coco réutilisera la coupe élancée et droite de leurs robes dans plusieurs de ses collections, notamment dans sa " petite robe noire " à laquelle elle ajoute parfois un col blanc, rappelant ainsi la rigueur de l’institution.

Rihanna, dans un ensemble conçu par la Maison Margiela.

Le clin d’œil implicite et prudent de Chanel aux vêtements religieux diffère grandement d’interprétations plus contemporaines. Ce que le Met Gala 2018 a prouvé, c’est que le religieux peut aussi être somptueux et sexy. La mannequin Taylor Hill, habillée en Diane Von Fustenberg, a affiché une réinterprétation de la soutane et de la chape d’un cardinal en portant une robe noire dos nu avec une fente à mi-cuisse et un décolleté plongeant, ceinturée de satin rouge et accessoirisée d’un pendentif en forme de croix. Dans un autre esprit, l’actrice Lilly Collins portait une mini-robe avec un jupon en tulle conçue par Givenchy. La robe s’inspirait de la chasuble des nonnes et était complétée par un halo en argent et un chapelet.

Mais la tenue qui a volé la vedette ce soir-là fut la mini-robe bustier et la tiare pontificale incrustées de perles et de bijoux de Rihanna. Au neuvième siècle, nous avions la légende de la papesse Jeanne, une jeune femme qui aurait fait office de pape pendant plusieurs années, son genre passant inaperçu. En 2018, nous avons Rihanna. L’ensemble, conçu par la Maison Margiela, bien qu’il représentât un chef-d’œuvre en matière de haute couture et d’artisanat, ne fît pas l’unanimité au sein de la communauté chrétienne ; la sexualisation du vêtement religieux ayant été interprétée comme de la dérision.

Dans une Amérique chrétienne puritaine, un cardinal à peine couvert est une provocation. Les vêtements sacramentels peuvent être un puits d’inspiration pour les créateurs, comme l’ont prouvé les sages robes noires et blanches de Coco Chanel, mais il faut aussi rappeler que la foi ne peut être détournée au nom de la mode. La noblesse des vêtements religieux, leur histoire, leur rigueur et leur symbolisme ne doivent pas être pillés. Les hommages rendus par les créateurs à l’Église ne doivent pas se transformer en moquerie. Comme le dit l’adage, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres…