Les discussions portant sur le budget de 2022 se poursuivent et se ressemblent, avec des tendances désormais claires : davantage de taxes et hausse des tarifs des services publics (électricité, eau, télécoms, etc.). Une question s’impose : comment les ménages pourront-ils donc payer, alors que les trois quarts de la population sont déjà au-dessous du seuil de pauvreté ? 

Les expériences passées, au Liban comme ailleurs, nous donnent quelques indications sur les comportements futurs des ménages face à l’augmentation des charges, auxquelles on ajoutera des recommandations, que l’État ne prendra pas en considération.

Un premier phénomène, évident, est une paupérisation plus prononcée avec son mode de consommation associé : les produits de base les moins chers, et beaucoup moins de biens durables ; puis recyclage, réutilisation et commerce de biens usagés. En Occident, c’est déjà la mode, pour des considérations écologiques ! Parallèlement, les activités non essentielles seront réduites au possible, celles liées à la culture, à la socialisation, au sport, aux loisirs et voyages. En même temps, il y aura davantage d’évasion fiscale et de contrebande.

Un deuxième phénomène aura la forme d’une dollarisation plus importante des transactions, pour les entreprises et les libéraux. Concernant les employés, une revalorisation de leurs rémunérations sera nécessaire pour les sociétés qui le peuvent. Les autres peineront à survivre sur le marché. Et les fonctionnaires seront pris à la gorge.

Un troisième phénomène, bien grave, sera un risque de rupture de la mobilité sociale – cette possibilité pour les individus de passer d’une classe à une autre supérieure, de devenir plus nanti que ses parents. Ce risque existe si la paupérisation, induite par la classe au pouvoir, se perpétue des années durant, et influe durablement sur l’accès à l‘éducation.

Mouvements de résistance

Pour contrer les trois premiers, un quatrième phénomène verra l’accélération de l’émigration, faisant ainsi fonctionner encore une fois l’équation des vases communicants : l’argent des émigrés viendra au secours des résidents. Cela est valable aussi bien pour les individus que pour les entreprises, qui développeront une implantation à l’étranger pour financer leurs opérations locales.

Un autre phénomène réactif aura la forme d’une vente forcée de biens immobiliers, hérités ou accumulés durant les années fastes. Les ménages y auront surtout recours pour assurer l’éducation des enfants, qui a toujours été considérée comme une priorité pour les familles. Les acheteurs seront aussi bien des émigrés, des émigrés ‘internes’ (ceux qui, tout en étant résidents, auront des sources d’argent extérieures), quelques étrangers, mais aussi les nouveaux riches du marché noir et autres activités louches qui se multiplieront à cause de la désintégration progressive de l’État. Le blanchiment d’argent connaîtra aussi son âge d’or.

Les mesures que l’État ne prendra pas

Justement, que peut faire ce pouvoir pour atténuer la charge sur les ménages ? En gros, exactement le contraire de ce qu’il a fait jusqu’à présent, c’est-à-dire rien du tout depuis 2 ans, et le contraire de ce qu’il compte faire, c’est-à-dire rien mais avec des taxes en plus.

Par exemple, cette distribution d’argent aux familles pauvres est financée par des taxes perçues auprès de ces mêmes, ou autres pauvres, ou via un prêt qui sera remboursé de la même manière. Elle aurait eu une signification si elle était financée par un impôt sur la fortune.

Au lieu de quoi, des mesures plus ciblées auraient été plus adéquates concernant les besoins vitaux, dont par exemple :

  • Une assurance médicale minimale pour ceux qui n’ont aucune couverture, à condition d’éviter la CNSS, un des épicentres de la corruption. Le ‘prêt des pauvres’ de la Banque mondiale aurait pu y être alloué.
  • Un transport en commun en ville, et en inter-villes, pour alléger le budget insoutenable des déplacements. Un autre prêt ciblé de la Banque mondiale est en attente depuis 4 ans, avec un recours à des opérateurs privés.
  • Des services de base (électricité, eau…) disponibles pour tous, même non subventionnés, via de grands opérateurs privés, pour alléger les frais exorbitants des prestataires de quartier.
  • Une concurrence réelle sur les produits et les services, remplaçant les raids ridiculement comiques des inspecteurs du ministère de l’Économie.
  • Et bien sûr, ces fameuses réformes qu’on a ressassées jusqu’à la nausée et le vomissement, pour ouvrir la vanne d’aides extérieures significatives.