Si la médecine d’urgence peut servir de guide aux juristes, elle leur montre que la stabilisation du patient passe avant son traitement ; quand le pronostic vital est engagé, la (sur)vie prime sur la santé. L’urgence vitale pour les déposants libanais est d’arrêter immédiatement l’hémorragie des fonds en devises étrangères qui se trouvent encore à la Banque du Liban (BDL) puisque, in fine et quelles que soient les qualifications juridiques et comptables qui leur sont données, ces fonds leur reviennent. " Time is of the essence " ; les discussions théoriques et les plans de redressement relèvent de la santé et non de la survie.

Les fonds déposés à la BDL étant essentiellement la proie de l’État, il est essentiel de démontrer aux instances internationales et aux pays donateurs ou prêteurs, impliqués à un titre ou à un autre dans la recherche et la mise en place d’une solution à la crise économique libanaise, que ces fonds doivent être mis hors de portée de l’État, et que les plans qui sont en cours d’élaboration doivent tenir compte de cela.

Le FMI est à l’écoute de la société civile

Conscient du fait que les responsables officiels des pays en crise auxquels il prête son aide sont très souvent eux-mêmes la cause de la crise et ne peuvent donc pas être la (seule) source de solutions, le Fonds Monétaire International (FMI) a pour pratique constante depuis plusieurs décennies de se mettre à l’écoute des autres parties prenantes (" Stakeholders "), qui " jouent leur peau " pour reprendre l’idée de Nassim Taleb (" Skin in the Game "), notamment celles émanant de la société civile, qui est un interlocuteur souvent plus crédible que les responsables.

Le FMI l’a rappelé il y a quelques jours, dans son communiqué de presse du 11 février 2022 dans lequel il a rendu compte des résultats de la mission virtuelle effectuée au Liban, par visioconférence, du 24 janvier au 11 février 2022, sous la direction de M. Ernesto Ramirez-Rigo. Après avoir demandé à l’État libanais de revoir sa (maigre) copie, en tenant compte de cinq piliers (réformes budgétaires ; restructuration du secteur financier ; réforme des entreprises étatiques, notamment dans le secteur de l’énergie ; renforcement de la gouvernance et lutte contre la corruption ; et mise en place d’un système monétaire crédible), le FMI a conclu en saluant les discussions ouvertes et constructives avec les autorités libanaises ainsi qu’avec la société civile et le secteur privé.

Le FMI est conscient que les plans de redressement ne sont viables et acceptables pour les populations concernées que si, plutôt que de permettre l’augmentation de la " dette odieuse " (Alexandre Nahum Sack) créée par les responsables officiels au détriment de ces populations, ils mettent des brides à pareille augmentation. De même, l’arrêt de la dilapidation des biens publics et du pillage des biens privés (dont les dépôts bancaires font partie) doit être une grande priorité.

La politique d’ouverture et de transparence du FMI, à propos aussi bien de son propre fonctionnement interne que de ses missions et de ses relations avec les États membres, renforcée par la démocratisation de la connaissance et des communications et par la consécration constitutionnelle des libertés publiques, dont la liberté d’expression est l’un des phares (paragraphe c du Préambule de la Constitution libanaise), fait que tout citoyen du monde, quels que soient son statut et sa condition, est en droit de communiquer son avis au FMI. Et a contrario, aucune autorité ou entité, de droit public ou de droit privé, ne peut monopoliser le contact avec le FMI et limiter l’accès démocratique à cette instance internationale en charge de dessiner l’avenir du Liban et de ses citoyens. Cela s’applique bien entendu à l’égard de toutes les autres instances internationales et aux pays donateurs ou prêteurs, que la société civile libanaise peut (et doit) librement contacter.

L’État ne doit plus puiser dans les fonds de la Banque du Liban

Outre les menaces de " liralisation ", de " Haircut " et de " Bail-in " qui pèsent sur les dépôts bancaires, le danger pressant auquel il faut pallier d’urgence est l’hémorragie des fonds restants à la Banque du Liban. L’État, dans toutes ses composantes et par le biais des deux pouvoirs exécutif et législatif, continue à dépenser de manière incontrôlée, en puisant dans ces fonds, sans qu’aucune réforme soit envisagée.

Contrairement à ce qui est affirmé, la BDL n’a nullement l’obligation de financer le secteur public ; bien au contraire, elle n’est pas autorisée à le faire, sauf dans des situations très limitées et dans le cadre de conditions très strictes.

Cette vérité a été rappelée au FMI, dans un courrier en quatre points adressé le 7 février 2022 à M. Ramirez-Rigo, par des avocats libanais([1]), auteurs d’une étude adossée au Code de la Monnaie et du Crédit de 1963 (le " Code "), qui est le texte fondateur de la BDL:

1- Le Code édicte un principe général selon lequel la BDL ne peut pas octroyer des prêts à l’État (article 90) ; ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’elle peut (mais n’est pas obligée de) le faire, mais seulement si de nombreuses conditions techniques sont cumulativement réunies (article 91 et s.).

2- Le Code qualifie expressément la BDL de banque du secteur public (article 85). L’État ayant cessé ses paiements (il a par exemple décidé, en mars 2020, d’arrêter le payement des Eurobonds), la BDL, banque de l’État, ne doit plus lui octroyer de nouveaux prêts, puisqu’elle a l’irréfutable certitude qu’il ne sera pas en position de les lui rembourser ; étant relevé que la BDL a le devoir de vérifier que l’emprunteur a les moyens de rembourser sa dette (article 92, para.3).

3- Le Code impose à l’État de rembourser les pertes de la BDL (article 113), et non pas le contraire. À l’heure actuelle, l’État demande à la BDL de nouveaux financements, alors même qu’il parle d’immenses pertes à la BDL et que le plan qu’il a communiqué au FMI veut les faire supporter en grande partie aux déposants. L’État doit donc couvrir ces pertes, et non pas demander de nouveaux financements qui généreront indubitablement de nouvelles pertes.

4- Il semblerait que la BDL ait atteint le niveau de ses réserves/investissements obligatoires, et qu’elle ne dispose donc plus de " montants libres " à dépenser. Ces réserves, qui sont constituées de fonds en devises étrangères que les banques commerciales ont été forcées par la BDL de placer auprès d’elle (en vertu de sa Décision Principale No.7926 de 2001, basée sur les articles 76, 77 et 174 du Code), sont par nature affectées à la sécurité du secteur bancaire ; elles ne peuvent donc pas être utilisées pour financer l’État.

Le FMI et le " Grand Déni " de l’État libanais

Le FMI, les instances internationales et les pays donateurs ou prêteurs qui sont au chevet du Liban ne vont pas restituer les dépôts bancaires à leurs propriétaires ; ils ne vont pas protéger ces dépôts face à un État prédateur ; ils ne vont pas offrir de garanties aux déposants. Mais ils doivent recevoir l’information technique et indépendante, afin de l’intégrer dans leur réflexion et leurs plans ; et cela est le rôle et la responsabilité de la société civile. Si l’État libanais est dans le (grand) déni, comme le WBG a intitulé son dernier rapport (" The Great Denial " – Fall 2021), les autres stakeholders doivent le rappeler à la réalité, et cela ne peut se faire qu’en internationalisant le débat.


[1]) Nasri Diab, Selim Meouchi, Abdo Ghossoub, Hadi Khalife, Assaad Najem, Ramzi Haykal, Marie Daou, Moussa Khoury et l’ancien Bâtonnier Melhem Khalaf.

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