Tout le monde connaît sûrement cette blague où un homme endetté à l’égard de son voisin n’arrive pas à dormir… jusqu’à ce que sa femme appelle le voisin et lui lance: "Mon mari ne va pas honorer sa dette de sitôt." Puis, se retournant vers son mari, conclut: "Voilà, tu peux dormir maintenant, c’est lui qui aura une insomnie."

C’est exactement ce que les autorités locales ne cessent de faire et de clamer avec fierté depuis deux ans. Et voici maintenant le président de la République qui ajoute une perle à cet édifice d’arnaque. Il a fait paraître il y a quelques jours un communiqué, dans le cadre de la discussion du budget, dévoilant un sens aigu de l’économie et de l’État de droit. Il préconise que l’État ne paie pas à ses créditeurs (la BDL et les banques) les intérêts de la dette libellée en livres, qui sont de l’ordre de 6.400 milliards de livres pour 2022. Cet argent servirait, selon le communiqué, à financer l’EDL et à augmenter les salaires des fonctionnaires.

Un concentré d’énormités juridico-économiques s’accumulent dans cette proposition, émanant du sommet de la pyramide. D’abord, on fait assumer au prêteur, qui n’a rien fait d’illégal, les séquelles des dilapidations du débiteur et de ses pillages organisés.

Ensuite, on veut reproduire là la même bêtise fatidique du défaut de paiement des dettes en dollars, déclaré en mars 2020, et ce unilatéralement, sans aucune coordination ou même un simple contact avec les débiteurs, comme c’est la coutume, enfonçant encore plus l’État libanais dans l’incrédibilité.

En outre, le président, probablement suite à une injonction de Hezbollah, entend ainsi sanctionner le secteur bancaire, ennemi juré du Hezb. Sauf que cet argent prêté à l’État n’appartient pas aux banques, mais aux déposants, et ce sont eux qui seraient lésés par cette mesure. À moins que les banques, privées ainsi des revenus de leurs prêts à l’État, mais ayant des dépenses incompressibles (employés, intérêts créditeurs…), ne soient acculées à subir des pertes insoutenables, à une sortie forcée du marché ou, au moins, à un licenciement massif de leurs employés.

La gravité de cette proposition présidentielle est qu’elle fait partie d’une série d’initiatives qui vont dans le même sens, généralement initiées par les mêmes parties.

Un autre exemple dans la même veine s’est présenté dans le pseudo-plan de répartition des pertes fuité par le gouvernement, mais sans qu’il ne soit assumé officiellement. Un plan qui fait subir aux banques et à leurs déposants l’essentiel des pertes. Il se propose de rembourser les dépôts, en dollars ou en livres libanaises selon différents taux, suivant la taille de chaque dépôt. Au-delà des critiques sur l’équité de ce remboursement, le résultat d’un tel schéma serait de vider les banques de leurs dépôts… puisqu’on va les rendre aux déposants! Mais, dans ce cas, en quoi consisterait le travail des banques? Les concepteurs de cette formule biscornue oublient que les banques sont, par définition, des établissements de crédit, qui recueillent les épargnes des gens et octroient des prêts, sinon ils n’ont pas de raison d’être.

L’idée de vider les banques de leurs dépôts, officiellement ou officieusement (en tuant leur crédibilité), revient à éliminer le secteur bancaire et ramener le pays au Moyen Âge. Et c’est peut-être cela le but ultime.