Du jour au lendemain, le sujet de l’octroi de la nationalité libanaise à des milliers d’étrangers est revenu sur le devant de la scène avant la fin du mandat de Michel Aoun. En effet, un projet de décret préparé depuis des mois par les milieux du palais présidentiel de Baabda prévoyait d’octroyer la citoyenneté libanaise à environ 4 000 personnes. Le quotidien An-Nahar avait rapporté que la plupart des candidats sont des Syriens de confession chrétienne, et des centaines d’alaouites. Mais la question s’est compliquée en raison du refus du Premier ministre intérimaire Nagib Mikati de signer le décret en question. Selon la Constitution libanaise, le décret doit être signé par le président de la République, mais aussi par le chef du gouvernement et le ministre de l’Intérieur.

Ce projet de décret était le second du genre sous le mandat de l’ex président Aoun depuis son élection en 2016. Le premier décret a été promulgué deux ans après la prise de fonction de M. Aoun, soit en mai 2018, sous le gouvernement de Saad Hariri. À l’époque, ce décret avait profité à 411 personnes, de nationalité arabe, dont la plupart étaient des hommes d’affaires syriens proches du régime Assad, en plus de Palestiniens et d’Irakiens. La presse avait publié à l’époque quelques noms des proches de Bachar el-Assad dont Khaldoun al-Zoubi, PDG d’Aman Holding, ainsi que Mazen Mourtada, fils d’un ancien ministre syrien de l’Education. De son côté, l’homme d’affaires syrien Farouk Joud, grand magnat des affaires dans les secteurs de l’alimentaire, de l’acier et des minoteries, avait confirmé les informations faisant état de la naturalisation de ses trois fils, en soulignant qu’il s’agissait d’une démarche pour faciliter leurs affaires, sans aucune finalité politique.

En réponse aux critiques qui avaient fusé à l’époque au sujet des critères adoptés pour le nouveau décret de naturalisation, le ministre des Affaires étrangères en exercice au moment des faits et gendre du président, Gebran Bassil, avait rétorqué, lors d’une conférence de presse, "qu’il est possible d’octroyer la nationalité à toute personne qui s’avère utile pour l’État, fut-elle un homme d’affaires, un investisseur, ou une personnalité de renom, et que le Liban a tout intérêt à naturaliser".

Parallèlement, Wael Bou Faour, député membre du Parti socialiste progressiste (PSP) dirigé par Walid Joumblatt, avait souligné que "ce décret ne passera pas, et qu’il est inacceptable de transformer la nationalité libanaise en pièce de marchandage pour le compte de criminels et de leurs collaborateurs", faisant allusion au régime syrien auquel le PSP s’oppose fortement. Il n’en demeure pas moins que le décret est passé, générant plus de dix millions de dollars comme l’a rappelé ironiquement l’activiste Firas Bou Hatoum sur son compte Facebook.

Par contre, Nathalie Majdalani, 42 ans, dont le père est français, et qui vit au Liban depuis 38 ans, a déclaré à l’AFP : "J’ai grandi et étudié ici, mais je ne peux pas obtenir la nationalité". Un cas parmi des milliers d’enfants de mère libanaise qui ne peuvent pas acquérir la nationalité libanaise.

Cinq mois avant la fin du mandat de Michel Aoun, de nombreux organes de presse avaient relayé des informations selon lesquelles un nouveau décret de naturalisation était en cours de préparation, en vue de naturaliser des centaines de personnes. Le quotidien Asharq al-Awsat avait fait état " d’appels d’offres lancés pour attirer de grands magnats syriens désireux d’obtenir un passeport libanais, moyennant des sommes faramineuses en échange de ce privilège ".

Selon des informations obtenues par Ici Beyrouth auprès d’anciens ministres, le décret en question prévoyait "d’octroyer la citoyenneté à quatre mille chrétiens en échange de 150 000 $ pour chaque demande. Cependant, le président Mikati a refusé de signer ce décret afin de ménager l’opinion publique. Néanmoins, il a fini par accepter la naturalisation de soixante personnes. En revanche, le palais présidentiel de Baabda s’est accroché au document initial, ce qui a conduit à une impasse entre le président de la République et le chef du gouvernement".

De plus, selon les sources susmentionnées, plusieurs études d’avocats ont présenté des demandes de naturalisation dont une étude dans la Békaa qui s’est chargée de quinze demandes en échange d’une commission. Les avocats travaillant pour ces études ont intensifié leurs contacts afin de convaincre Nagib Mikati de changer d’avis, ainsi que le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, proche du Premier ministre, dont la signature du décret est nécessaire également.

Dans ce cadre, des sources médiatiques proches du Hezbollah avancent que l’ex président Michel Aoun était prêt à signer le décret de formation du nouveau gouvernement tel qu’il avait été préparé par le Premier ministre, si ce dernier avait accepté de signer le décret de naturalisation. Et ces sources d’ajouter que les gains générés si ces transactions avaient été conclues auraient profité à la caisse noire de la famille, entendre la famille Aoun!